Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/191

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ADÉLAÏDE.

Vous venez prendre congé ?

WEISLINGEN.

Permettez-moi de vous baiser la main, et je vous dis adieu ! Vous m’en faites souvenir ! Je ne songeais pas… Je suis importun, madame.

ADÉLAÏDE.

Vous l’entendez mal : je voulais vous mettre à l’aise, car vous désirez partir.

WEISLINGEN.

Oh ! dites que je le dois. Si le devoir de chevalier, si une promesse sacrée ne m’entraînait pas…

ADÉLAÏDE.

Allez ! allez ! contez cela aux jeunes filles qui lisent le Theuerdank[1], et qui souhaitent un époux de ce caractère. Devoir de chevalier, jeu d’enfant !

WEISLINGEN.

Vous ne pensez pas ainsi.

ADÉLAÏDE.

Sur ma parole, vous dissimulez ! Qu’avez-vous promis ? Et à qui ? Engager votre foi à un homme qui manque à la sienne envers l’empereur et l’Empire ; l’engager, dans l’instant même où il encourt la peine du ban pour vous avoir fait prisonnier ! Engager votre foi, qui ne peut être plus valable qu’un serment injuste et forcé ! Nos lois ne délient-elles pas de pareilles promesses ? Persuadez cela aux enfants qui croient au Rubezahl[2]. Il y a d’autres choses là-dessous. Devenir l’ennemi de l’Empire ! l’ennemi de la paix et de la félicité publique ! l’ennemi de

  1. Theuerdank est le héros d’un poème historique et allégorique, attribué à Melchior Pfinzing, secrétaire de Maximilien Ier. Le sujet historique de ce poëme est le mariage de cet empereur avec Marie, la belle et riche héritière de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, et c’est sans doute ce qui valut à ce poëme, dès longtemps oublié, la popularité dont il jouissait chez les contemporains de Maximilien. Avant d’obtenir la main de la princesse, le chevaleresque empereur avait à traverser un grand nombre d’aventures, vraies ou fictives, que la poète conte fort en détail, en les revêtant d’une forme allégorique.
  2. Rubezahl est l’esprit des monts des Géants. Habitant les profondeurs, il ne paraît qu’à de longs intervalles à la surface de la terre, tantôt secourant les malheureux et les pauvres, tantôt maltraitant, dans ses accès de misanthropie les voyageurs, surtout lorsqu’ils sont moqueurs ou incrédules.