Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/330

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des brutes et des monstres. Il appelle à son aide le fer et le feu, et s’imagine que l’on dompte ainsi les hommes.



MACHIAVEL.

Vous me semblez trop animée ;.vous prenez la chose trop vivement. Ne restez-vous pas gouvernante ?

MARGUERITE.

Je connais cela. Il apportera des instructions…. J’ai une assez longue expérience des affaires d’État pour savoir comme- on écarte quelqu’un sans lui enlever son office…. Il présentera d’abord des instructions, qui seront vagues et obscures ; il empiétera, car il aura la force ; et, si je me plains, il alléguera des instructions secrètes ; si je demande à les voir, il me promènera ; si j’insiste, il me montrera un papier qui renfermera tout autre chose ; et, si je ne m’en contente pas, il n’en fera pas plus que si je parlais en l’air…. Cependant il aura fait ce que je crains, et rejeté bien loin ce que je désire.

MACHIAVEL.

Je voudrais pouvoir contester ce que vous dites.

MARGUERITE.

Ce que j’ai assoupi avec une indicible patience, il le réveillera par la rigueur et les cruautés ; je verrai sous mes yeux périr mon ouvrage, et j’aurai de plus à répondre de ses fautes.

. ..’. MACHIAVEL.

Votre Altesse peut s’y attendre.

MARGUERITE.

J’ai sur moi assez d’empire pour me contenir/Qu’il vienne : je lui céderai la place de la meilleure grâce du monde, avant qu’il me chasse.

MACHIAVEL.

Si vite, cette démarche importante !

MARGUERITE.

Il m’en coûte plus que tu ne penses. Celui qui est accoutumé à commander, qui a pris l’habitude de voir chaque jour le sort de milliers d’hommes reposer dans sa main, descend du trône comme dans le tombeau. Mais plutôt cela que de rester comme une -ombre parmi les vivants, et de vouloir conserver, avec la vaine apparence, une place qu’un autre a déjà héritée de nous, qu’il possède, et dont il jouit désormais.

CŒTIIE.. — TH. I 21