Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/462

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée




STELLA.

Ce n’est pas un bienfait que je vous offre ! Sentez plutôt quel bienfait pour moi, si vous restez ! Oh ! je ne puis vivre seule. Ma chère, j’ai tout fait ; je me suis donné des oiseaux et des chevreuils et des chiens, j’apprends aux petites filles à tricoter et à faire de la dentelle, uniquement pour n’être pas seule, pour voir hors de moi quelque chose qui vive et qui croisse. Et pourtant, lorsque cela me réussit ; lorsque, par une belle matinée de printemps, une divinité bienfaisante semble avoir chassé la douleur de mon âme ; lorsque je m’éveille tranquille, que le doux soleil brille sur mes arbres fleuris, et que je me sens active, animée pour les affaires du jour : alors j’éprouve du bien-être ; alors je vais et je viens quelque temps, j’arrange et j’ordonne, et je dirige mes gens, et, dans la liberté de mon. cœur, je remercie à haute voix le ciel de ces heureux moments.

MADAME SOMMER.

Ah ! oui, madame, je le sens ! L’activité et la bienfaisance sont un don du ciel, une compensation pour les cœurs malheureux par l’amour.

STELLA.

Une compensation ? Dites un dédommagement, mais non une compensation. C’est quelque chose à la place de ce qu’on a perdu ; ce n’est pas la chose perdue elle-même.... L’amour perdu !... où donc en trouver la compensation ?... Oh ! si quelquefois je me plonge de pensée en pensée, si je me représente les doux songes du passé ; si je rêve un avenir plein d’espérance, et si je parcours ainsi mon jardin, à la clarté de la lune : alors je me sens tout à coup saisie, saisie par cette pensée, que je suis seule ; j’étends en vain les bras vers les quatre vents ; je prononce en vain l’enchantement de l’amour avec une force, une effusion telle qu’il me semble que je devrais attirer la lune en terre..." et je suis seule ; aucune voix ne me répond du bocage, et les étoiles versent de là-haut sur ma souffrance leur douce et froide clarté ! Et puis tout à coup le tombeau de mon enfant à mes pieds !...

MADAME SOMMER.

Vous aviez un enfant ?