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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/463

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STELLA.

Oui, ma chère ! O Dieu ! tu ne m’avais non plus donné à goûter ce bonheur qu’afin de me préparer un calice plus amer pour toute ma vie.... Si, ù la promenade, un enfant de paysan accourt au-devant de moi, les pieds nus, et, avec ses grands yeux innocents, me jette un baiser, cela me perce jusqu’à la moelle des os ! Je me dis : « Mina serait aussi grande !» Je le prends dans mes bras avec une douloureuse tendresse, je le baise cent fois, mon cœur est déchiré, les larmes jaillissent de mes yeux, et je m’enfuis !

LUCIE.

Cependant vous avez aussi beaucoup moins de peine. Stella. Elle sourit et lui frappe doucement sur l’épaule.

Comment puis-je seulement sentir encore ?... Comment ces horribles instants ne m’ont-ils pas tuée ?... Il était couché devant moi, séparé de sa tige, ce bouton de fleur !... et j’étais là, pétrifiée jusqu’au fond du cœur.... sans douleur.... sans me connaître.... j’étais là !... Alors la garde prit l’enfant, le pressa contre son cœur, et s’écria soudain : « Elle vit !... » Je me jette à son cou ; baignée de larmes, je me jette sur l’enfant.... aux pieds de la garde.... Hélas ! elle s’était trompée ! L’enfant était là sans vie, et moi à côté d’elle, dans un furieux, un horrible désespoir. (Elle se laisse tomber sur un siège.)

Madame Sommer. ’ Détournez vos pensées de ces tristes scènes.

STELLA.

Non ! Cela me fait du bien, beaucoup de bien, que mon cœur se puisse rouvrir, que ma bouche puisse exhaler tout ce qui m’oppresse !... Oui, quand je commence une fois à parler de lui, qui était tout pour moi !... qui.... 11 faut que vous voyiez son portrait ! son portrait !... Oh ! il me semble toujours que la figure de l’homme est le texte de tout ce qu’on peut sentir et dire sur lui.

LUCIE.

Je suis curieuse....

Stella. Elle ouvre son cabinet et les fait entrer. Ici, mes chères amies, ici !

MADAME SOMMER.

Dieu !