Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la déesse, tu lui formas un gracieux visage, semblable aussi, je l’avoue, à cette race éclose de la fumée ; mais, toujours complaisante, elle trompe plus innocemment, indispensable à chaque fils de la terre. Elle est comme l’œil secourable des gens à courte vue. Qu’il soit donné à chacun ! Mais toi, relevant le courage de ta fille, relève aussi le tien. Tu n’écoutes pas ? Tu te plonges dans le passé ?

ÉPIMÉTHÉE.

« Êtes-vous condamné à quitter une belle, fuyez en détournant les yeux. Lorsqu’à la contempler, on s’enflamme jusqu’au fond du cœur, elle attire, hélas ! elle entraîne pour jamais.

« Ne te demande pas, à l’approche des caresses : « Partira-t-elle ? Partirai-je ?… » Une douleur cruelle te saisit dans ses étreintes convulsives ; tu tombes à ses pieds, et le désespoir te déchire le cœur.

« Alors, peux-tu pleurer, et la vois-tu à travers les larmes, les larmes qui éloignent, comme si elle était loin en effet ? Demeure ! Il est possible encore !… La plus immobile des étoiles de la nuit s’incline à l’amour, au désir.

« Presse-la de nouveau dans tes bras ! Sentez bien tous deux votre possession et votre perte ! La foudre ne saurait vous séparer ; le cœur ne se presse que plus vivement contre le cœur.

« Êtes-vous condamné à quitter une belle, fuyez en détournant les yeux. Lorsqu’à la contempler, on s’enflamme jusqu’au fond du cœur, elle attire, hélas ! elle entraîne pour jamais. »

PROMÉTHÉE.

Peut-on nommer un bien ce qui, durant la présence, repousse absolument tout ce qui charme et séduit, et qui, durant l’absence, tourmente, en refusant toute consolation ?

ÉPIMÉTHÉE.

Être inconsolable est la plus belle consolation de l’amour ; poursuivre un bien perdu est même un plus grand avantage que de saisir un bien nouveau. Cependant, hélas ! quelle inutile peine de se représenter un bonheur évanoui, un bonheur irréparable ! Frivole, funeste tourment !

« Avec effort, avec angoisse, la pensée se plonge dans la nuit ; elle cherche en vain l’image. Ah ! comme autrefois elle brillait devant mes yeux, à la clarté du jour !