« Flottante, elle paraît à peine encore. Si seulement elle s’avançait ainsi !… S’approche-t-elle de moi, me saisit-elle… vaporeuse figure, elle voltige et passe.
« Elle revient, ardemment désirée ; mais elle balance encore et flotte toujours, semblable en même temps à d’autres et à soi ; puis elle échappe au regard plus perçant.
« Enfin elle se montre pourtant ; elle se présente vivement à mes yeux. Admirable !… Vite les pinceaux et le burin !… Un clin d’œil la fait évanouir.
« Est-il un effort plus inutile ?… Certes, il n’en est pas de plus douloureux, de plus cruel. Si sévère que soit l’arrêt de Minos, une ombre est désormais d’un prix éternel[1].
« Essayons encore de te ramener, ô mon épouse !… L’ai-je saisie ? Mon bonheur m’est-il rendu ?… Ce n’est qu’une image, une apparence. Elle s’envole fugitive, et passe et s’anéantit. »
Ne te laisse pas anéantir, ô mon frère, brisé par la douleur ! Songe à ta haute origine, à ton grand âge ! Je puis voir des pleurs dans l’œil du jeune homme : ils défigurent l’œil du vieillard. Bon frère, ne pleure pas !
Le don des larmes adoucit la plus cruelle douleur. Elles coulent avec délices, quand l’âme consolée s’attendrit.
Lève les yeux, oublie ta souffrance. Regarde au loin cette rougeur. L’aurore manque-t-elle aujourd’hui sa route accoutumée ? C’est du midi que s’élève ce rouge embrasement. Un incendie semble éclater dans tes forêts, dans tes demeures. Cours ! La présence du maître augmente tous les biens et détourne les malheurs qui peuvent survenir.
Qu’ai-je à perdre encore ? Pandore m’a quitté. Que le feu consume ces demeures ! On les rebâtira bien plus belles.
Je conseille d’abattre ces bâtiments ; ils ne suffisent plus. Je
- ↑ Allusion à la fable d’Orphée et d’Eurydice.