Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/320

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tu prends à tâche de te nuire à toi-même. Au lieu que ma sœur sait vivre avec chacun, quel qu’il soit, tu peux à peine, même après beaucoup d’années, te retrouver dans un ami.

Le Tasse.

Condamne-moi ; mais dis-moi ensuite où est l’homme, où est la femme, avec qui je puisse risquer de parler à cœur ouvert comme avec toi.

La Princesse.

Tu devrais te fier à mon frère.

Le Tasse.

Il est mon prince !… Ne crois pas toutefois qu’un souffle sauvage de liberté gonfle mon cœur. L’homme n’est pas fait pour être libre, et, pour un noble esprit, il n’est point de sort plus beau que de servir un prince qu’il honore. Mais enfin il est mon maître, et je sens toute l’étendue de ce grand mot. Je dois apprendre à me taire quand il parle, et à faire ce qu’il ordonne, mon cœur et ma raison voulussent-ils même vivement le contredire.

La Princesse.

Cela n’arrive jamais avec mon frère, et maintenant, que nous avons Antonio, tu es assuré d’un sage ami de plus.

Le Tasse.

Je m’en flattais autrefois : maintenant je suis près d’en désespérer. Que son commerce me serait profitable, et ses conseils utiles en mille rencontres ! Il possède, je puis bien le dire, tout ce qui me manque. Mais… si tous les dieux se sont réunis pour offrir leurs dons à son berceau, les Grâces, par malheur, ne sont pas venues, et celui à qui manquent les dons de ces immortelles peut sans doute beaucoup posséder, beaucoup donner, mais on ne pourra jamais reposer sur son sein.

La Princesse.

On peut du moins se fier à lui, et c’est beaucoup. Il ne faut pas tout exiger d’un seul homme, et celui-ci donne ce qu’il promet. S’est-il une fois déclaré ton ami, il veillera pour toi, quand tu te feras défaut à toi-même. Il faut que vous soyez unis. Je me flatte d’accomplir en peu de temps ce bel ouvrage. Seulement, ne résiste pas, comme c’est ta coutume. Nous avons,