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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/436

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laquelle j’appartiens. Oh ! ne balance pas, dans la prochaine tempête, à saisir le gouvernail mal dirigé. Pour le bien de ta patrie, étouffe ta propre douleur ; sinon des milliers de pères pleureront comme toi leurs enfants ; des milliers d’enfants, et des milliers encore, perdront leurs pères ; le cri d’angoisse des mères retentira horriblement sous les voûtes des prisons. Immole ta douleur, ta souffrance, sur l’autel du bien public, et tous ceux que tu auras sauvés deviendront tes enfants et ta consolation.




LE DUC.

Ne fais pas sortir de ses affreux repaires la foule, serrée des spectres, que l’aimable pouvoir de ma fille a, souvent et sans peine, chassée loin de moi par enchantement. Elle n’est plus la force charmante qui berçait mon esprit d’agréables songes. La réalité, avec ses masses serrées, s’avance sur moi et menace de m’accabler. Fuyons ! fuyons ! Sortons de ce monde ! Et, si l’habit sous lequel tu te montres ne me trompe pas, mène-moi dans l’asile de la patience, mène-moi au couvent, et là, au milieu du silence général, laisse-moi, muet, courbé, ensevelir dans la fosse une existence brisée.

L’abbé.

A peine me sied-il d’appeler tes regards vers le monde ; mais je prononcerai plus hardiment d’autres paroles : un cœur généreux ne prodigue pas dans le tombeau, ni au-delà du tombeau, le précieux trésor de la mélancolie. Il rentre en lui-même, et retrouve, avec étonnement, dans son cœur ce qu’il avait perdu.

LE DUC.

Que la possession se maintienne ici fermement, quand le bien perdu s’enfuit et s’éloigne de plus en plus, c’est la torture qui veut rattacher au corps souffrant le membre séparé et pour jamais arraché. La vie divisée, qui peut de nouveau la réunir ? La chose anéantie, qui peut la faire revivre ?

L’abbé.

L’esprit, l’esprit de l’homme, pour lequel rien ne se perd, des biens précieux qu’il a possédés avec sécurité. Ainsi Eugénie respire devant toi ; elle vit dans ta pensée, qu’elle élevait autrefois, où elle éveillait la vive contemplation d’une magnifique nature ; ainsi elle agit encore comme un grand modèle ; elle te préserve