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LA GAGEURE.

Dorn.

Entends-tu, Fœrster ?

Foerster.

Poursuivez.

Dorn.

Conte-nous, Jean, ce qui s’est passé depuis mon départ.

Jean.

Ah ! bon Dieu, comment me rappeler tout cela ! les mille choses que j’ai vues, entendues !… J’en perds la tête. Si cela s’appelle aimer, si c’est l’usage chez les gens du grand monde, je fais vœu de rester à tout jamais le pauvre Jean, et d’assurer à ma Frédérique, tout simplement, que je l’aime de bon cœur.

Dorn.

Enfin que s’est-il donc passé de si prodigieux !

Foerster.

Explique-toi.

Jean.

Je vous le conterai de mon mieux. Après votre départ, le jeune homme s’enferma ; il lisait, il écrivait et il s’occupait. Seulement je le trouvais très-animé : il allait promener dans la campagne, revenait tard à la maison, il était gai ; et ainsi se passèrent quelques jours. Puis il alla à la chasse et changea d’occupations. Mais je pus remarquer aisément qu’il ne persistait dans aucune. Il montait à sa chambre et en descendait, jetait un livre et en prenait un autre, et, s’il grondait, ce pouvait bien être quelquefois avec raison ; mais, assurément et en vérité, c’était souvent sans motif ; il voulait seulement donner l’essor aux sentiments impétueux qui s’élevaient en lui.

Dorn.

Fort bien.

Jean.

Ainsi passaient les jours. À la promenade, il désirait le château ; il brusquait la chasse et revenait au logis. Mais là encore il hésitait en chemin, devenait toujours plus indécis, et se parlait à lui-même ; il faisait des yeux qui m’effrayaient. Tantôt il restait immobile, tantôt il paraissait hésiter. Il s’approche du dangereux rideau ; il revient vite sur ses pas, irrité contre lui-même.