Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/462

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C’est elle qui me pèse et me nuit ! Je dois te le dire, à toi, qui es si habile : je sens dans le cœur aiguillon sur aiguillon. Il m’est impossible d’y tenir ; et de le dire, j’en rougis. Je voudrais voir fléchir ces vieillards de là-haut ; je voudrais ces tilleuls pour ma demeure. Quelques arbres qui ne sont pas à moi me gâtent la possession du monde. Là, je voudrais, afin de voir au loin à la ronde, construire, de branche en branche, des échafaudages, ouvrir à l’œil une vaste carrière, pour contempler tout ce que j’ai fait, pour embrasser, d’un seul regard, le chef-d’œuvre de l’esprit humain, animant, par une sage pensée," ’ les vastes demeures conquises aux nations…. Nous souffrons donc la plus cruelle torture, en sentant, au sein de la richesse, ce qui nous manque. Le tintement de la petite cloche, l’odeur des tilleuls, m’enveloppent, comme dans l’église et dans la fosse. La volonté arbitraire de l’homme tout-puissant vient se briser contre ce sable. Comment bannir cela de ma pensée ? La clochette retentit et j’entre en fureur.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Je comprends qu’un profond .chagrin doive empoisonner ta vie. Qui peut le nier ? Point de nobles oreilles à qui ne répugne la sonnerie, et ce maudit bim, baum, bim, baum, qui assombrit la sereine lumière du soir, se mêle à chaque événement, depuis le premier bain jusqu’à la sépulture, comme si, entre bim et baum, la vie n’était qu’un songe évanoui.

FAUST.

La résistance, l’obstination, attristent la plus glorieuse conquête, en sorte que, pour notre profonde et cruelle peine, il faut nous fatiguer à être justes.

MÉPHiSTOPHÉLÈS.

Et pourquoi te gêner ici ? Ne songes-tu pas depuis longtemps à coloniser ?

Faust.

Allez donc, et délivrez-moi de ces gens-là ! Tu connais le joli petit bien que j’ai choisi pour les vieux époux.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

On les enlève et on les replace ; .avant qu’on ait le temps de