Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Les crêtes des rochers sont tour à tour arrondies, aiguës, dégarniçs, boisées ; souvent une tête chauve, isolée, regarde encore fièrement par-dessus ; le long des pentes et dans les profondeurs, s’ouvrent des crevasses de roches délitées.

Le passage à travers ce défilé m’a fait une grande et paisible impression. Le sublime procure à l’âme un calme heureux ; elle en est parfaitement remplie ; elle se sent aussi grande qu’elle peut l’être. Qu’un sentiment si pur a de charmes, lorsqu’il s’élève jusqu’au bord, sans se répandre par-dessusI Mon œil et mon esprit pouvaient saisir les objets, et, comme j’étais pur, cette impression n’était nulle part contrariée, et les objets produisaient l’effet qu’ils devaient produire. Si l’on compare un pareil sentiment avec celui qui nous anime lorsqu’un petit objet nous occupe laborieusement, que nous mettons tout en œuvre pour lui prêter, lui ajouter tout ce que nous pouvons, et que nous préparons à notre esprit, dans sa propre création, une jouissance et un aliment, alors on peut voir combien c’est là une misérable ressource.

Un jeune homme, qui s’était joint à nous depuis Bâie, disait qu’il n’était pas à beaucoup près aussi frappé que la première fois, et il en faisait honneur à la nouveauté. Pour moi, voici ce que je dirais : Quand nous contemplons un pareil spectacle pour la première fois, à cette vue inaccoutumée, l’esprit se dilate au premier moment, et cela lui cause un douloureux plaisir, un transport qui l’ébranle, et qui nous arrache de délicieuses larmes. Ainsi l’âme s’agrandit sans le savoir, et, cette première impression, elle n’en est plus capable. L’homme croit avoir perdu, mais il a gagné. Ce qu’il perd en plaisir, il le gagne en développement intérieur. Si la destinée m’avait appelé à vivre dans une grande contrée, j’aurais voulu chaque jour me nourrir par elle de grandeur, comme je me nourris dans une gracieuse vallée de patience et de paix.

Parvenu à l’extrémité de la gorge, je mis pied à terre, et je retournai seul en arrière à quelque distance. Je démêlai encore chez inoi un sentiment profond, qui augmente considérablement le plaisir pour l’esprit attentif. On se représente confusément la naissance et la vie de ces formes étranges. De quelque manière et en quelque temps que cela soit arrivé, ces