Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/126

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Ils intercédèrent auprès du roi, et le roi consentit. Reineke se sentit le cœur un peu soulagé : il espérait une heureuse issue. Il profita sur-le-champ du répit qui lui était accordé et parla en ces termes :

« Que l’esprit du Seigneur me soit en aide ! Je ne vois personne dans cette grande assemblée, que je n’aie offensé de quelque manière. Je n’étais encore qu’un petit compagnon, et j’avais à peine appris à sucer la mamelle, que déjà je m’abandonnais à mes désirs parmi les jeunes agneaux et les chevrettes, qui se dispersaient en rase campagne à côté du troupeau ; j’écoutais trop volontiers les voix bêlantes ; je sentais l’envie d’une pâture délicate ; j’appris promptement à la connaître. Je mordis un agneau à le faire mourir ; je léchai le sang et lui trouvai un goût délicieux. Ensuite je tuai quatre des plus jeunes chevrettes et les mangeai, et je continuai à m’exercer de la sorte. Je n’épargnai ni les oiseaux, ni les poules, ni les canards, ni les oies, où que je les trouvasse, et j’ai enterré souvent dans le sable ce que j’avais égorgé, et qu’il ne me plaisait pas de manger tout à fait. Alors il m’arriva, un hiver, aux bords du Rhin, de faire la connaissance d’Ysengrin, qui était aux aguets derrière les arbres. D’abord il m’assura que j’étais de sa famille ; il sut même compter sur ses Doigts les degrés de la parenté. Je me laissai persuader ; nous conclûmes une alliance, et nous nous jurâmes de voyager en fidèles compagnons. Je devais, hélas ! m’attirer par là bien des maux. Nous parcourûmes ensemble le pays. Il volait le gros, je volais le petit. Ce que nous avions attrapé devait nous être commun. Mais cela ne le fut pas comme l’équité le demandait : le loup partageait au gré de son caprice. Jamais je ne recevais la moitié. Il m’a fait bien pis. S’il avait dérobé un veau, enlevé un mouton, quand je le trouvais dans l’abondance, dévorant la chèvre qu’il venait d’égorger, tenant dans ses pattes un bouc couché à terre et palpitant, il ricanait à ma vue, prenait un air morose et me chassait en grondant. Ainsi ma part lui demeurait. Et voilà ce qui m’attendait toujours, si gros que fût le rôti. S’il nous arrivait même de prendre un bœuf ensemble, d’attraper une vache, aussitôt paraissaient sa femme et sept enfants, qui se ruaient sur la proie et m’écartaient du repas. Je ne pouvais obtenir une côte, qu’elle