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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/176

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sources, et, s’il a fait quelque faute, monseigneur, il n’est pas de pierre. Mais vous n’aurez jamais un meilleur conseiller que lui. C’est pourquoi, pardonnez-lui, je vous en prie. »

Le roi répondit :

« Je veux y réfléchir. Le jugement fut prononcé comme vous dites : le serpent fut puni. N’importe, Reineke n’en est pas moins un fripon achevé. Comment pourrait-il se corriger ? Si l’on fait un accord avec lui, on finit par être trompé ; il se tire d’affaire avec une adresse que nul ne saurait égaler. L’ours et le loup et le chat, le lapin et la corneille, ne sont pas assez alertes pour lui ; il leur fait souffrir honte et dommage. A l’un, il attrape une oreille, à l’autre un œil ; il ôte la vie au troisième. En vérité, je ne sais comment vous pouvez parler en faveur de c« méchant et défendre sa cause.

— Monseigneur, répondit la guenon, je ne puis le dissimuler, sa race est noble et grande ; vous devez y songer. »

Alors le roi se leva et sortit : tous les courtisans étaient réunis et l’attendaient. Il vit dans l’assemblée beaucoup des plus proches parents de Reineke : ils étaient venus pour défendre leur cousin. Il serait difficile de les nommer. Il considéra cette grande famille, et, de l’autre côté, les ennemis de Reineke : la cour semblait se partager. Le roi prit la parole :

« Écoute-moi, Reineke : peux-tu te justifier du crime d’avoir mis à mort, avec le secours de Bellin, mon fidèle Lampe, et d’avoir, vous deux, téméraires, logé sa tête dans le sac, comme on ferait des lettres ? C’est pour m’insulter que vous l’avez fait. J’ai déjà puni l’un des coupables ; Bellin a expié son crime ; attends-toi au même sort.

— Malheur à moi ! s’écria Reineke. Je voudrais être mort ! Veuillez m’en tendre, et qu’on me traite selon mes mérites. Si je suis coupable, faites-moi mourir sur l’heure : je ne serai d’ailleurs jamais délivré d’angoisse et de souci ; c’en est fait, je suis perdu, car Je traître Bellin m’a dérobé les plus grands trésors ; jamais créature mortelle n’en a vu de semblables. Hélas ! ils ont coûté la vie à Lampe. Je les avais confiés à tous deux, et voilà que Bellin a volé ces trésors ! Si pourtant l’on pouvait en découvrir la trace ! Mais je crains que personne ne les retrouve, et qu’ils ne soient perdus pour toujours. »