Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/179

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rien de plus parmi tous les biens du monde, et c’était entre nous un sujet de dispute. Elle n’a jamais pu m’ébranler. J’envoyai, croyant bien faire, le peigne et le miroir à ma très-honorée dame, la reine, qui m’a toujours comblé de biens et m’a préservé de malheur. Souvent elle a dit pour moi un petit mot favorable ; elle est noble, de haute naissance, parée de vertu, et son antique origine se manifeste en œuvres et en paroles. Elle était digne du peigne et du miroir. Hélas ! elle ne les a pas vus de ses yeux ; ils sont à jamais perdus.

« Parlons du peigne maintenant. L’artiste avait pris, pour le fabriquer, de l’os de panthère, débris de ce noble animal, qui séjourne entre l’Inde et le paradis. Toutes les couleurs ornent sa fourrure, et de doux parfums se répandent partout où il s’avance. C’est pourquoi les animaux suivent si volontiers sa trace par tous les chemins ; car ils sont guéris par cette odeur : ils le sentent et le déclarent tous. De ces ossements, le beau peigne était fabriqué avec beaucoup de travail ; clair comme l’argent et d’une blancheur, d’une pureté inexprimable ; ce peigne avait une odeur plus douce que l’œillet et la cannelle. Quand l’animal vient à mourir, l’odeur passe dans tous les os, y demeure fixement et les empêche de se corrompre. Elle dissipe tous les miasmes et tous les poisons. On voyait en relief sur le dos du peigne les plus admirables figures, entrelacées avec d’élégants rameaux d’or, mêlés d’outremer et de corail. Dans le milieu était représentée artistement l’histoire de Paris, le Troyen, qui, étant assis un jour près d’une fontaine, vit devant ses yeux trois femmes divines : on les nommait Junon, Pallas et Vénus. Elles commencèrent par disputer longtemps : car chacune voulait posséder la pomme, qui jusqu’alors leur avait appartenu en commun. Enfin elles convinrent que Paris donnerait la pomme d’or à la plus belle : elle seule la posséderait. Le jeune homme les considérait avec une grande attention. Junon lui dit : « Si « j’obtiens la pomme, si tu me déclares la plus belle, tu seras « le plus riche des hommes. » Pallas dit à son tour : « Songes-y « bien, donne-moi la pomme, et tu seras l’homme le plus puis« sant de la terre ; tout le monde te craindra ; ton nom sera « proclamé par les amis et les ennemis. » Vénus prit la parole : « Que sert la puissance ? Que servent les trésors ? Le roi Priam