Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/185

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« sang : décidez-vous bien vite. » Le loup se trouvait dans l’assemblée, et il n’entendit pas la chose avec plaisir. Votre père dit là-dessus : « Vous l’avez entendu, seigneur loup : vous ne me « refuserez pas votre foie pour ma guérison. » Le loup répondit : « Je n’ai pas. cinq ans : quel bien peut-il vous faire ? — « Vains discours ! repartit mon père. Gela ne dok pas nous arré« ter. Je le connaîtrai tout de suite au foie. » Le loup fut traîné sur-le-champ à la cuisine, et le foie se trouva tel qu’il fallait. Votre père le mangea incontinent, et à la même heure il était délivré de toute maladie et de toute infirmité. Il ne manqua pas de témoigner à mon père sa reconnaissance. A la cour, chacun dut le qualifier de docteur ; on ne se permettait jamais d’y manquer ; il marchait constamment à la droite du roi. Votre père, je le sais fort bien, lui fit ensuite présent d’une agrafe d’or et d’une barrette rouge, qu’il portait devant tous les seigneurs, et tous le tinrent en grande considération. Mais, hélas ! les choses ont bien changé pour le fils, et l’on ne pense plus au mérite de son père. Tous les fripons les plus avides sont élevés en dignité ; on ne songe qu’à l’intérêt et au profit ; la justice et la sagesse sont en discrédit. Les valets deviennent de grands seigneurs, et d’ordinaire le pauvre doit en pâtir. Quand de telles gens ont la puissance, ils frappent en aveugles sur la foule ; ils ne se souviennent plus d’où ils sont venus ; ils songent ù tirer leur avantage de tous les jeux : il s’en trouve beaucoup de cet acabit autour des grands. Ils n’écoutent aucune prière, si elle n’est pas d’abord accompagnée d’un riche cadeau ; et, quand ils assignent les gens, c’est pour leur dire : « Apportez, appor« tez une fois, deux fois, trois fois. » Ces loups voraces gardent volontiers pour eux les morceaux délicats, et, quand il s’agirait de sauver par un petit sacrifice la vie de leur maître, ils feraient difficulté. Le loup ne voulait pas renoncer à son foie pour le service du prince ! Et quel foie ! Je le dis franchement : quand vingt loups perdraient la vie, si celle du roi et de sa chère épouse était sanvée, le mal serait petit. Car une mauvaise semence, que peut-elle produire de bon ? Ce qui est arrivé dans votre enfance, vous l’avez oublié : mais je le sais parfaitement, comme si la chose était d’hier. L’événement était gravé sur le miroir : ainsi l’avait voulu mon père ; des pierreries et des ra-