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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/186

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meaux d’or décoraient l’ouvrage. Je donnerais mes biens et ma vie pour savoir où trouver ce miroir.

— Reineke, dit le roi, j’ai compris tes discours ; j’ai entendu tes paroles et tous les récits que tu as faits. Si ton père était à notre cour un grand personnage, et s’il a fait tant de choses salutaires, il y a, je pense, de cela fort longtemps. Je ne m’en souviens pas et personne ne m’en a informé. Vos actions, au contraire, viennent souvent à mes oreilles ; vous êtes sans cesse au jeu, du moins je l’entends dire. Si l’on vous fait tort et que ce soient de vieilles histoires, je voudrais entendre une fois quelque chose de bon : c’est ce qui n’arrive guère.

— Sire, répliqua Reineke, je puis bien m’expliquer là-dessus devant vous, car la chose me concerne : je vous ai fait moi-même du bien. Ce n’est pas un reproche, Dieu m’en garde ! Je me reconnais obligé de faire pour vous tout ce qui est en mon pouvoir. Assurément vous n’avez pas oublié l’affaire. Je fus un jour assez heureux, avec Ysengrin, pour attraper à la chasse un pourceau : il criait, il périt sous nos morsures. Vous vîntes, faisant beaucoup de plaintes, et disant que votre femme arrivait sur vos pas, que, si quelqu’un voulait partager avec vous Sa nourriture, ce serait pour vous et pour elle un réconfort. « Faites-moi part de votre capture, » disiez-vous alors. Ysengrin consentit, mais il murmurait dans sa barbe, de façon qu’on l’entendait à peine. De mon côté, je répondis : « Monseigneur, nous vous of frons volontiers les pourceaux, fussent-ils sans nombre. Par« lez, qui doit faire le partage ? — Le loup, » avez-vous répondu. Ysengrin en fut charmé. Il fit le partage sans pudeur et sans gêne, selon sa coutume, et vous servit justement un quartier, à votre épouse l’autre, et il se jeta sur la moitié, la dévora gloutonnement, et, avec les oreilles, il me donna seulement le museau et une moitié de poumon. Il garda tout le reste pour lui, vous l’avez vu. Il nous montra dans cette occasion peu de générosité. Vous le savez, mon roi. Vous eûtes bientôt mangé votre part, mais j’observai que vous n’aviez pas apaisé votre faim : Ysengrin seul ne voulait pas’le voir ; il ne cessa de manger et mâcher, sans vous offrir la moindre chose. Alors vous lui portâtes derrière les oreilles un violent coup de patte, qui lui déchira la peau. Il s’enfuit, le crâne pelé et sanglant,