Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/190

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CHANT ONZIÈME.

Ysengrin, le loup, porta sa plainte, et dit :

« Vous le reconnaîtrez, monseigneur, Reineke fut de tout temps un fripon, il le sera toujours, et il vient dire des choses infâmes, pour m’insulter moi et ma famille. C’est ainsi qu’il m’a toujours fait, et plus encore à ma femme, de sensibles outrages. Un jour, il l’engage à passer dans un étang, à travers le marécage : il lui avait promis qu’elle prendrait ce jour-là beaucoup de poissons. Elle n’avait qu’à plonger la queue dans l’eau et la laisser pendre : les ’poissons viendraient y mordre, et seraient pris. Elle ne pourrait, elle et trois autres, les manger tous. Elle s’avança donc, pataugeant et nageant, vers le bout, vers la bonde. En ce lieu, l’eau avait plus de profondeur, et Reineke dit à ma femme d’y laisser pendre sa queue. Vers le soir, le froid fut grand, et il commença de geler très-fort, en sorte qu’elle ne pouvait presque plus y tenir, et bientôt sa queue fut prise dans la glace. Elle ne pouvait la remuer ; elle croyait que c’était la pesanteur des poissons, et qu’elle avait réussi. Reineke, l’infâme voleur, s’en aperçut, et, ce qu’il fit, je n’ose le dire. Il vint, hélas ! et lui fit violence. Il ne m’échappera pas ! Il faut qu’aujourd’hui même ce forfait coûte la vie à l’un de nous, tels que nous voilà ; car il ne pourra se tirer d’affaire par son babil : je l’ai pris moi-même sur le fait. Le hasard m’amena vers la colline. J’entendis ma femme crier au secours. La pauve dupe était prise dans la glace et ne pouvait résister à Reineke. Je vins et je dus tout voir de mes propres yeux. C’est un miracle vraiment que mon cœur n’ait pas éclaté, » Reineke, « m’écriai-je, que fais-tu ? » II m’entendit venir, et il prit la