Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/192

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propos, elle aurait pris assez de poisson pour un excellent repas. Une convoitise trop forte est toujours funeste. Si le cœur s’accoutume à l’intempérance, il doit éprouver baaucoup de privations. Qui a l’esprit avide vivra dans de continuels soucis : nul ne peut le rassasier. Mme Giremonde l’a éprouvé, lorsqu’elle était prise dans la glace. Maintenant elle me remercie mal de mes efforts. C’est ma récompense, pour l’avoir honnêtement aidée. Car je la poussais, et voulais, de toutes mes forces, la soulever : mais elle était trop pesante pour moi. C’est au milieu de ces efforts qu’Ysengrin me trouva, en’passant le long du bord. Il s’arrêta et cria, et me chargea d’imprécations furieuses. J’eus peur, je l’avoue, à l’ouïe de ces bénédictions. Une fois, deux fois et trois fois, il vomit contre moi les plus horribles menaces ; il poussait des cris de fureur, et je médis : « Va-t’en d’ici, « et n’attends pas davantage. Mieux vaut courir que pourrir. » Mon affaire était faite, car, à ce moment, il m’aurait déchiré. Lorsqu’il arrive que deux chiens se mordent pour un os, il faut bien que l’un soit battu. Il me parut donc aussi que le meilleur était de céder à sa colère et à son sens égaré. Il était furieux et l’est encore : qui peut le nier ? Interrogez sa femme : qu’ai-je à faire avec ce menteur ? Aussitôt qu’il vit sa femme prise dans la glace, il blasphéma et invectiva, puis il vint et l’aida à s’en tirer. Si les paysans les poursuivirent, ce fut pour le mieux, car cela mit leur sang en mouvement, et ils cessèrent d’avoir froid. Que dirai-je encore ? C’est mal so conduire, de déshonorer sa propre femme par de semblables mensonges. Interrogez-la elle-même : la voici. S’il avait dit la vérité, elle n’aurait pas manqué de porter plainte elle-même. Cependant je demande une huitaine, pour conférer avec mes amis sur la réponse que je dois faire au loup et à sa plainte. »

Giremonde prit ensuite la parole :

« Il n’y a dans votre conduite et votre caractère que malice, nous le savons bien, et mensonge et tromperie, scélératesse, fourberie et insolence. Qui ajoute foi à vos discours insidieux en souffre toujours à la fin. Vous usez constamment de paroles fausses et ambiguës. J’en ai fait l’épreuve vers le puits. Car deux seaux y pendaient. Vous vous étiez placé dans l’un, sais-je pourquoi ? et vous étiez descendu au fond. Vous ne pouviez