Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/202

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produisirent les choses saintes, et les deux combattants, le loup et le renard, jurèrent avec recueillement ce qu’ils maintenaient.

Ysengrin jura en termes violents, et avec des regards pleins de menace, que Reineke était un traître, un voleur, un meurtrier, et coupable de tous les crimes ; qu’il avait été pris en flagrant délit de violence et d’adultère ; qu’il était faux en toute chose ; que lui, loup, mettait, pour le soutenir, sa vie contre celle de son ennemi.

Reineke, de son côté, jura sur-le-champ qu’il ne se sentait coupable d’aucun de ces crimes ; qu’Ysengrin mentait comme toujours ; qu’il jurait faussement comme d’habitude, mais qu’il ne réussirait jamais à faire de ses mensonges des vérités, et cette fois moins que toute autre.

Et les juges du camp dirent alors :

« Que chacun fasse ce qu’il est tenu de faire, le droit s’ensuivra bientôt. »

’ Grands et petits quittèrent la lice, pour y laisser seuls les deux champions. La guenon se hâta de dire à voix basse :

« Rappelez-vous ce que je vous ai dit ; n’oubliez pas de suivre mes conseils. »

Reineke répondit gaiement :

« Cette bonne exhortation me fait marcher avec plus de courage. Soyez tranquille ; je n’oublierai pas dans ce moment l’audace et la ruse, par lesquelles j’ai échappé à maints périls plus grands où j’étais souvent tombé, lorsque j’allais faire telle ou telle emplette qui ne sont pas payées jusqu’à ce jour, et que je risquais hardiment ma vie. Comment ne tiendrais-je pas maintenant contre le scélérat ? J’espère fermement le couvrir d’opprobre, lui et toute sa race, et faire honneur aux miens, Toua les mensonges qu’il dit, je vais les lui faire expier. »

Alors on laissa les deux champions dans la lice, et tous les regards se fixèrent sur eux avidement.

Ysengrin se montrait farouche et furieux : il allongea les pattes, il s’avança, la gueule ouverte, avec des sauts violents. Reineke, plus léger, échappa à son adversaire qui fondait sur lui, et mouilla vite de son eau corrosive sa queue touffue, et la traîna dans la poussière pour la remplir de sable. Ysengrin croyait dëji le tenir, quand le rusé lui donna sur les yeux un