Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/269

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mort, d’être la mère de ses enfants, avec quelle émotion je m’écrie : « Pardonne, mère chérie, si je ne suis pas pour eux ce « que tu fus toi-même. Ah ! je fais tout ce que je puis ; ils sont « du moins vêtus, nourris, et, ce qui vaut mieux que tout cela, « ils sont soignés, ils sont aimés. Si tu pouvais voir notre union, i ô sainte bien-aimée, tu bénirais, avec les plus vives actions <* de grâce, ce Dieu à qui tu demandais, en versant les larmes « les plus amères, les larmes suprêmes, le bonheur de tes « enfants…. »

Voilà ce que disait Charlotte…. 0 Wilhelm, qui peut répéter ce qu’elle disait ? Comment la lettre froide et morte pourrait-elle reproduire cette fleur céleste de l’âme ? Albert l’interrompit avec douceur : » Cela vous affecte trop vivement, Charlotte. Je sais combien ces idées vous sont chères, mais, je vous en prie….

— Albert, dit-elle, je sais que tu n’as pas oubl ié les soirées où nous étions assis autour de la petite table ronde, lorsque papa était en voyage, et que nous avions envoyé coucher les enfants. Tu avais souvent un bon livre, et tu en venais rarement à lire quelque chose…. L’entretien de cette âme sublime n’était-il pas au-dessus de tout ? 0 douce et belle femme, joyeuseet%toujours active !… Dieu voit les larmes que je verse devant lui, à genoux sur ma couche, pour lui demander de me rendre semblable à ma mère.

— Charlotte, m’écriai-je, en me prosternant devant elle, et eh prenant sa main, que je baignais de pleurs, Charlotte, la bénédiction de Dieu repose sur toi, ainsi que l’esprit de ta mère.

— Si vous l’aviez connue ! dit-elle, en me serrant la main : elle était digne d’être connue de vous. » Je crus m’anéantir. Jamais on n’avait prononcé sur moi une plus grande, une plus glorieuse parole. Elle poursuivit : « Et cette femme a dû mourir à la fleur de son âge, quand le dernier de ses fils n’avait pas encore six mois ! Sa maladie ne.fut pas longue. Elle était calme, résignée ; elle ne plaignait que ses^nfants, surtout le petit. Lorsque son heure approcha et qu’elle me dit : « Fais-les monter,» et que je fis entrer les petits, qui ne savaient rien, les aînés, qui étaient hors d’eux-mêmes ; lorsqu’ils entouraient le lit, qu’elle leva les mains et pria sur eux, les embrassa l’un après