Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/296

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26 octobre.

Oui, mon cher Wilhelm, je me persuade chaque jour davantage que l’existence d’une créature est peu de chose, bien peu de chose. Une amie de Charlotte était venue la voir, et je passai dans la chambre voisine pour prendre un livre, et je ne pouvais lire : alors je pris une plume pour essayer d’écrire. Je les entendais causer doucement : elles se racontaient l’une à l’autre des choses indifférentes, des nouvelles de la ville ; que l’une se mariait, que l’autre était malade, très-malade ; elle avait une toux sèche, la figure décharnée ; il lui prenait des faiblesses. « Je ne donnerais pas un sou de sa vie, » disait l’une. « N. N. est aussi fort mal, » dit Charlotte. « II est enflé, » reprit l’amie Et mon imagination me transportait vivement au chevet de ces malheureux ; je voyais avec quelle répugnance ils tournaient le dos à la vie ; avec quel…. Wilhelm, et mes deux petites dames parlaient de cela précisément comme on parle d’un étranger qui meurt…. Et quand je porte les yeux autour de moi, quand je regarde cette chambre et, tout alentour, les habits de.Charlotte et les papiers d’Albert, et ces meubles auxquels je suis maintenant si accoutumé, même cet encrier, je me dis : « Vois ce que tu es’pour cette maison ! Tout pour tous. Tes amis te considèrent ; tu fais souvent leur joie, et il semble à ton cœur, qu’il ne pourrait vivre sans eux ; et pourtant…, si tu venais à mourir, si tu disparaissais de ce cercle, sentiraient-ils, combien de temps sentiraient-ils, le vide que ta perte ferait dans leur existence ? combien de temps ?… » Ah ! l’homme est si éphémère, qu’aux lieux mêmes où il a l’entière certitude de son être, où il grave la seule véritable impression de sa présence dans le souvenir, dans l’âme de ses amis, là même, il doit s’effacer, disparaître, disparaître promptement !