Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Tout cela n’est qu’un désert à mes yeux : il me faut une compagne ! »

La bonne mère lui répondit avec sagesse :

« Mon fils, si tu désires amener une épouse dans ta demeure, afin que la nuit devienne pour toi la belle moitié de la vie, et le travail du jour plus libre et plus à toi, tu ne le désires pas plus vivement que ton père et ta mère. Nous t’avons toujours conseillé, nous t’avons même pressé de faire un choix ; mais je le sais bien, et maintenant le cœur me le dit, si l’heure prédestinée n’est pas venue, si la jeune fille prédestinée -ne se montre pas à cette heure, le choix reste indécis, et la crainte de se tromper est la plus forte. S’il faut te le dire, mon fils, je crois que ton choix est fait, car ton cœur est troublé et plus sensible qu’à l’ordinaire. Parle franchement, déjà le mien le devine : c’est la jeune exilée que tu as choisie.

— Bonne mère, vous l’avez dit ! repartit vivement le fils. Oui, c’est elle, et, si je ne l’amène pas dès ce jour comme fiancée dans la maison, elle s’éloigne, et peut-être m’échappe pour toujours dans le tumulte de la guerre, et dans ces tristes marches en sens divers. Alors, ma mûre, c’est en vain que mes yeux verront prospérer nos riches domaines ; c’est en vain que les années prochaines seront pour moi fertiles ; la maison accoutumée et le jardin me blesseront la vue ; hélas ! et l’affection d’une mère ne consolera pas même le malheureux : oui, je le sens, l’amour délie tous les autres nœuds quand il forme les siens, et ce n’est pas seulement la jeune fille qui laisse son père et sa mère, quand elle suit l’époux de son choix ; le fils lui-même oublie sa mère et son père, lorsqu’il voit partir la jeune fille, unique bien-aimée. C’est pourquoi laissez-moi courir où le désespoir m’entraîne : mon père a prononcé les paroles décisives, et sa maison n’est plus la mienne, s’il exclut la seule fiancée que je désire amener dans la maison. »

La bonne et sage mère se hâta de répondre :

« Ainsi deux hommes se dressent en face l’un de l’autre comme des rochers ! Immobiles et fiers, aucun ne veut s’approcher de l’autre, aucun ne veut faire entendre les premières paroles de paix. Eh bien ! je te l’assure, mon fils, j’espère encore qu’il te la donnera pour femme, si elle est honnête et bonne,