Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/305

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4 décembre.

Je t’en prie…. Vois-tu, c’en est fait de moi ; je ne puis le souffrir plus longtemps. Aujourd’hui j’étais assis près d’elle…. j’étais assis, elle jouait du clavecin ; c’étaient diverses mélodies, et toujours avec une expression !… Que dirai-je ? Sa petite sœur habillait sa poupée sur mon genou. Les larmes me • sont venues aux yeux. Je me suis baissé et son anneau de mariage a frappé ma vue…. Mes pleurs ont coulé…. Et tout à coup elle a commencé cette ancienne mélodie, d’une douceur céleste, tout à coup…. Et il s’éveille au fond de mon âme un délicieux sentiment et un sauvenir du passé, des temps où j’avais entendu cette mélodie, des sombres intervalles qui suivirent, du chagrin, des espérances trompées, et puis…. J’allais et venais dans la chambre, mon cœur se brisait. « Au nom de Dieu, lui dis-je avec véhémence, en courant à elle, au nom de Dieu, finissez. » Elle cessa, et me regarda fixement. Werther, » dit-elle, avec un sourire qui me pénétra, «Werther, vous êtes bien malade ; vos mets favoris vous répugnent. Allez, calmez-vous, je vous prie. » Je me suis arraché d’auprès d’elle, et…. Dieu, tu vois ma souffrance et tu y mettras fin.

6 décembre.

Comme cette image me poursuit ! Que je veille ou que je rêve, elle remplit toute mon urne. Ici, quand je ferme les yeux, ici, dans mon front, où se concentre la vision intérieure, sont toujours ses yeux noirs. Ici ! Je ne puis t’exprimer cela. Si je ferme mes paupières, ils sont là ; ils sont devant moi, dans moi, comme un abîme ; ils possèdent tous mes sens.

Qu’est-ce que l’homme, ce demi-dieu si vanté ? Les forces ne lui manquent-elles pas précisément quand elles lui sont le plus nécessaires ? Et qu’il prenne l’essor dans la joie ou qu’il s’abîme