Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/307

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sément toutes ses facultés, produisirent les plus fâcheux effets,, et ne lui laissèrent à la fin qu’un abattement auquel il ne s’arrachait plus qu’avec des angoisses plus pénibles que tous les maux contre lesquels il avait lutté jusqu’alors. L’angoisse de son cœur consuma les dernières forces de son esprit, sa vivacité, sa pénétration ; il devenait morose, toujours plus malheureux, et, à proportion, toujours plus injuste. C’est là du moins ce que disent les amis d’Albert ; ils soutiennent que Werther, qui consumait, pour ainsi dire, chaque jour tout son bien, pour éprouver, le soir, la souffrance et la disette, n’avait pu apprécier ni cet homme pur et paisible, qui était parvenu à jouir d’un bonheur longtemps désiré, ni sa conduite pour s’assurer ce bonheur dans l’avenir. Albert, disent-ils, n’avait point changé en si peu de temps ; c’était toujours l’homme que Werther avait connu dès l’origine, qu’il avait tant estimé et honoré. Il aimait Charlotte par-dessus tout ; il mettait en elle son orgueil, et il souhaitait que chacun la reconnût pour la plus parfaite des créatures. Pouvait-on le blâmer, par conséquent, s’il désirait écarter loin d’elle toute apparence de soupçon ? s’il n’était alors disposé à partager avec personne, même de la manière la plus innocente, un si précieux trésor ? Ils avouent qu’Albert quittait souvent la chambre de sa femme q’uand Werther était chez elle, mais ce n’était ni par haine, ni par éloignement pour son ami ; c’était seulement parce qu’il avait senti que Werther était gêné par sa présence.

Le père de Charlotte fut pris d’une indisposition qui l’obligea de garder la chambre ; il envoya sa voiture à sa fille, qui se rendit chez lui. C’était un beau jour d’hiver ; la.première neige était tombée en abendance, et couvrait tout le pays. Werther la rejoignit le lendemain, pour la ramener chez elle, si Albert ne venait pas la chercher. La sérénité du ciel produisit peu d’effet sur son humeur sombre ; une morne tristesse pesait sur son cœur ; de lugubres images s’étaient emparées de lui, et son esprit ne savait plus que passer d’une idée douloureuse à une autre. Comme il vivait dans un mécontentement perpétuel de luimême, la situation des autres lui semblait aussi plus critique et plus troublée ; il croyait avoir détruit la bonne intelligence • entre Albert et sa femme ; il s’en faisait des reproches, auxquels