Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/32

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tendre sans cesse vers le mieux, et nous le voyons aussi tendre constamment à s’élever ; il c^rche du moins la nouveauté. Cependant n’allez pas trop loin : à côté de ces sentiments, la nature nous a aussi donné l’instinct de ïious attacher aux choses anciennes, et de nous plaire à celles auxquelles nous sommes dès longtemps accoutumés. Toute situation est bonne, si elle est naturelle et raisonnable. L’homme a beaucoup de désirs, et pourtant il a peu de besoins, car la vie est courte et le sort des mortels est borné. Je ne blâmerai jamais l’homme qui, poussé par une activité infatigable, court, avec audace et persévérance, la mer et tous les chemins de la terre, et trouve son plaisir dans le gain qui s’amasse en abondance autour de lui et des siens. Mais j’estime aussi le paisible bourgeois qui parcourt, d’un pas tranquille, son héritage paternel, et cultive la terre, comme les saisons le demandent. Le sol ne change pas de face pour lui chaque année ; l’arbre nouveau planté n’élève pas soudain vers le ciel ses bras ornés de riches fleurs ; non, l’homme a besoin de patience, il a aussi besoin d’un cœur pur, toujours égal et tranquille, et d’une droite raison. Car il ne confie que peu de semences à la terre nourricière ; il ne sait élever, en les multipliant, qu’un petit nombre d’animaux ; l’utile reste seul toute sa pensée. Heureux celui à qui la nature donna un cœur ainsi disposé ! Il nous dispense à tous la nourriture. Heureux aussi le bourgeois de la petite ville qui joint à une industrie les travaux champêtres ! Il ne sent pas la gêne étroite du campagnard inquiet ; il n’est pas troublé par le souci des citadins qui désirent tant de choses, et qui, possédant peu de biens, ont coutume, surtout les femmes et les jeunes filles, de rivaliser avec les riches et les grands. Bénissez donc toujours la paisible activité de votre fils, et l’épouse, animée des mômes sentiments, sur laquelle un jour il fixera son choix. »

Ainsi dit-il ; et la mère entra avec son fils, en le tenant par la main et le conduisant devant son mari.

« Père, lui dit-elle, que de fois, dans nos causeries, nous avons parlé de l’heureux jour, du jour attendu, où notre Hermann, choisissant une fiancée, nous comblerait enfin de joie ! Nos pensées se portaient ça et là ; dans notre babil paternel, nous lui destinions tantôt celle-ci, tantôt celle-là ; maintenant ce jour