Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/333

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sait souvent. Elle le trouva occupé h ouvrir les paquets et h lire. Quelques-uns semblaient ne pas apporter des nouvelles fort agréables. Charlotte lui fit diverses questions, auxquelles il répondit brièvement, puis il se mit à son bureau pour écrire.

Ils avaient passé de la sorte une heure, à côté l’un de l’autre, et Charlotte devenait toujours plus sombre ; elle sentait combien il lui serait diflicile d’avouer à son mari, fût-il même de l’humeur la plus gaie, ce qu’elle avait sur le cœur. Elle tomba dans une mélancolie d’autant plus douloureuse, qu’elle s’efforçait de la cacher et de dévorer ses larmes.

L’apparition du domestique de Werther la jeta dans la plus grande perplexité ; elle tendit le billet à Albert, qui se tourna tranquillement vers sa femme et lui dit :

« Donne-lui les pistolets. Vous lui souhaiterez de ma part un bon voyage, » ajouta-t-il, en s’adressant au domestique.

Ce fut pour Charlotte comme un coup de foudre. Elle se leva chancelante ; elle ne savait ce qui se passait en elle ; elle s’avança lentement vers la cloison ; elle y prit les pistolets d’une main tremblante, en essuya la poussière, hésita, et aurait tardé longtemps encore, si Albert ne l’avait pressée, en l’interrogeant du regard. Elle donna au domestique ces armes funestes, sans pouvoir articuler un mot, et, lorsqu’il fut sorti, elle plia son ouvrage, et se retira chez elle dans un état d’inexprimable incertitude. Son cœur lui présageait toutes les horreurs. Tantôt elle était sur le point de se jeter aux pieds de son mari, de lui tout avouer, l’histoire de la veille, sa faute et ses pressentiments ; tantôt elle ne voyait à cette démarche aucun résultat, et surtout elle ne pouvait espérer de résoudre son mari à se rendre chez Werther. On mit le couvert, et une amie, qui n’était venue que pour s’informer de quelque chose, qui voulait s’en aller d’abord, et…. qui resta, rendit, pendant le repas, l’entretien supportable : on se contraignit, on causa, on s’oublia.

Le domestique apporta les pistolets à Werther, qui les prit dans ses mains avec transport, lorsqu’il apprit que Charlotte les avait donnés elle-même. Il se fit apporter du pain et du vin, il dit au domestique d’aller dîner et se mit à écrire.

« Ils ont passé par tes mains, tu en as essuyé la poussière ;