Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/34

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obliger mon cher voisin, je suis tout disposé à mettre mon petit jugement à son service ; et la jeunesse surtout a besoin qu’on la dirige. Laissez-moi partir : je veux observer la jeune fille, je veux questionner les gens parmi lesquels elle passe sa vie et dont elle est connue. On ne me trompe pas aisément ; je sais peser les paroles. »

Il dit, et soudain ces mots volèrent des lèvres du fils : « Faites cela, voisin, allez et prenez des informations. Mais je désire que M. le pasteur vous accompagne. Deux hommes si excellents sont des témoins irrécusables. 0 mon père, cette jeune fille n’est pas une vagabonde ; ce n’est pas une personne qui court le pays, cherchant les aventures, et qui enlace par ses artifices le jeune homme inexpérimenté. Non, l’horrible fatalité de la guerre funeste qui ravage le monde, et qui a déji renversé de fond en comble tant de solides édifices, a aussi exilé l’infortunée. Des hommes illustres et de haute naissance ne sont-ils pas errants dans la misère ? Les princes s’enfuient déguisés, et les rois vivent dans l’exil. Elle aussi, la meilleure d’entre ses sœurs, elle est chassée de son pays ; oubliant son propre malheur, elle assiste les autres ; sans secours, elle est secourable. Elles sont grandes, les misères et les détresses qui se répandent sur la terre : un bonheur ne pourrait-il sortir de ce malheur ? Et moi, ne pourrais-je, dans les bras de ma fiancée, de ma fidèle épouse, me féliciter de la guerre, comme vous vous êtes félicité de l’incendie ? »

Le père lui répondit d’un ton grave :

« O mon fils, comme elle s’est déliée, ta langue, qui, durant de longues années, fut collée à ton palais et avait tant de peine à se mouvoir ! Il me faut donc éprouver aujourd’hui le sort qui menace tous les pères, que la mère se plaise à favoriser, avec trop d’indulgence, la passion du fils, et que chaque voisin se mette de la partie, dès qu’il s’agit de tomber sur le père ou sur le mari. Je ne veux pas lutter contre vous tous : à quoi cela servirait-ilî Je prévois déjà la résistance et les larmes. Allez et voyez, et amenez au père une fille, si Dieu le veut ; sinon, que mon lils oublie l’étrangère ! »

Ainsi parlale père. Hermann s’écria, avccl’expression de la joie : « Avant le soir elle vous sera donnée, la fille excellente, telle