Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/37

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lorsqu’il leur imposa la paix et les menaça avec une sévérité paternelle.

« Eh quoi ! s’écria-t-il, le malheur ne nous a-t-il donc pas encore assez domptés, pour nous apprendre enfin à nous supporter et à nous souffrir les uns les autres, quand même chacun n’agit pas avec une juste mesure ? L’hcmme heureux est intraitable, je le sais ; mais les souffrances ne vous apprendront-elles pas à ne plus contester comme autrefois avec vos frères ? Faites-vous place mutuellement sur le sol étranger, et partagez ensemble ce que vous possédez, afin que vous trouviez de la compassion. »

Ainsi parla le vieillard, et tous gardèrent le silence ; les gens, apaisés, rangèrent doucement leur bétail et leurs voitures. Quand le pasteur eut entendu les paroles de cet homme, et reconnu la tranquille sagesse du juge étranger, il s’approcha de lui et lui dit ces graves paroles :

  • Mon père, en vérité, quand le peuple coule des jours heureux, tirant sa nourriture de la terre, qui ouvre son vaste sein, et renouvelle, avec les années et les lunaisons, ses largesses souhaitées, alors tout va de soi-même ; chacun se croit le plus sage comme le meilleur ; les gens vivent de la sorte les uns à côté des autres, et l’homme le plus sensé est confondu dans la foule : car tous les événements suivent comme d’eux-mêmes une marche tranquille. Mais si le malheur bouleverse les voies ordinaires de la vie, renverse les maisons, dévaste moissons et jardins, chasse l’homme et la femme de leur paisible demeure, les entraine à l’aventure, durant des jours et des nuits d’angoiss^ alors on cherche autour de soi quel peut être l’homme le plus sage, et ce n’est plus en vain qu’il fait entendre ses excellentes leçons. 0 mon père, vous êtes sans doute le juge de ces fugitifs, vous qui sur-le-champ apaisez les cœurs ? Oui, vous me paraissez aujourd’hui comme un de ces chefs antiques qui conduisaient, par les déserts et les terres inconnues, les peuples exilés. En ce moment, il me semble, que je parle à Moïse,-à Josué. »

Le juge répondit, en regardant le pasteur d’un air grave :

« En vérité, notre âge peut se comparer aux époques les plus rares que signale l’histoire sacrée ou profane ; car, en notre temps, qui a vécu deux jours a vécu des années, tant les événements se pressent. Si je regarde un peu en arrière, il me semble