Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/39

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de nations se voyaient asservies, et que l’égoïsme et l’oisiveté tenaient dans leur main. Dans ces jours tumultueux, tous les peuples n’avaient-ils pas les yeux iîxés sur la capitale du monde, qui l’avait été si longtemps, et qui méritait maintenant plus que jamais ce titre magnifique ? Les noms de ces hommes, les pré* miers porteurs du message, n’étaient-ils pas semblables aux plus grands noms qui soient placés parmi les astres ? Chacun ne sentait-il pas s’élever son cœur, son esprit, son langage ? Et, comme voisins, nous fûmes les premiers enflammés d’ardeur. Alors la guerre commença, et les Français en armes s’approchèrent ; mais ils semblaient n’apporter que l’amitié. Et ils l’apportèrent en effet, car ils avaient tous l’âme exaltée ; ils plantaient avec allégresse les joyeux arbres de liberté, promettant à chacun son droit, à chacun son gouvernement national. Les jeunes gens, les vieillards, se félicitaient, et la danse joyeuse commença autour des nouveaux étendards. Ainsi les Français entraînants gagné* rent d’abord les esprits des hommes par leur ardente et courageuse entreprise, puis les cœurs des femmes par leur grâce irrésistible. Même nous trouvâmes léger le fardeau de la guerre, qui exige de si grands sacrifices ; une espérance lointaine planait devant nos yeux ; elle attirait nos regards séduits dans de nouvelles carrières. Il est beau le temps où, avec son amante, le fiancé prend l’essor à la danse, en attendant le jour de l’union souhaitée ; mais il était plus magnifique, le temps où le premier des biens que l’homme puisse rêver nous sembla proche et accessible. Toutes les langues étaient déliées ; vieillards, hommes faits, jeunes gens, exprimaient hautement des pensées et des sentiments sublimes. Mais bientôt le ciel s’obscurcit : une race corrompue, indigne d’accomplir le bien, combattit pour s’assurer la domination ; ils s’égorgèrent entre eux, ils opprimèrent leurs voisins, leurs nouveaux frères, et nous envoyèrent la multitude égoïste. Et les chefs dissipaient et pillaient en grand, et les petits pillaient et dissipaient jusqu’aux plus petites choses. Chacun semblait n’avoir qu’une crainte, c’était qu’il ne restât quelque chose pour le lendemain. La misère était trop grande et l’oppression augmentait sans cesse : nul n’écoutait nos cris ; ils étaient les maîtres du jour. Alors la douleur et la rage s’emparèrent même des cœurs paisibles ; chacun se recueillit et jura de venger