Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/40

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toutes ses injures et la perte douloureuse de ses espérances doublement trompées. Et la fortune se tourna du côté des Allemands, et les Français se retirèrent à marches précipitées. Ah ! c’est alors que nous éprouvâmes enfin les horreurs de la guerre. Le vainqueur est généreux et bon ; il le paraît du moins : il épargne les vaincus, comme s’ils étaient à lui, s’ils le servent chaque jour et lui font part de leurs biens. Mais le fuyard ne connaît point de loi, car il ne songe qu’à repousser la morl, qu’à dévorer les biens à la hâte et sans ménagement ; puis son cœur est brûlant de colère, et le désespoir fait éclater ses coupables attentats. Plus rien de sacré pour lui, rien qu’il ne ravisse. Ses furieux désirs font violence à la femme, et il fait du plaisir un acte exécrable. Il voit partout la mort, et jouit avec cruauté de ses derniers moments ; il met sa joie dans le sang, sa joie, dans la détresse gémissante. Alors nos gens exaspérés entrèrent en fureur ; ils voulaient venger leurs pertes et défendre leurs débris. Chacun prit les armes, animé par la précipitation des fugitifs, leurs visages blêmes, leurs regards inquiets et farouches. Sans trêve retentit le bruit du tocsin, et l’approche du péril n’arrêta point la colère et la rage. Bientôt les paisibles instruments de l’agriculture se changèrent en armes ; la fourche et la faux dégouttèrent de sang. L’ennemi tombait sans pitié, sans grâce ; partout la fureur, partout la faiblesse lâche et rusée. Puisse-je ne revoir jamais l’homme dans cet affreux égarement ! La bête féroce est moins hideuse. Qu’il ne parle jamais de-liberté, comme s’il pouvait se gouverner lui-même ! Aussitôt que les barrières sont enlevées, se déchaîne tout le mal que la loi avait refoulé dans les repaires.

— 0 noble cœur ! reprit le pasteur avec force, si vous méconnaissez les hommes, je ne puis vous en faire un reproche : vous avez souffert tant de maux d’une entreprise désordonnée ! Mais, si vous voulez jeter un regard en arrière sur ces tristes jours, vous reconnaîtrez vous-même que souvent aussi vous avez vu le bien, souvent, des vertus excellentes, qui restent cachées dans le cœur, si le danger ne les éveille et si le malheur ne fait violence à l’homme, pour qu’il se montre comme un ange et qu’il apparaisse à ses frères comme un dieu sauveur. »