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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/45

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digne de toi : viens donc, et tourne ta voilure, afin qu’elle nous mène jusqu’à l’entrée du village, pour demander en mariage la vertueuse enfant et la conduire bien vite à la maison. »

Mais le jeune homme restait immobile, et il écoutait sans donner un signe de joie les paroles du messager, ces paroles divines et rassurantes. Il soupira profondément, et il dit :

« Nous sommes venus, d’une course rapide, et nous retournerons peut-être chez nous bien confus, à pas lents ; car, depuis que j’attends ici, j’ai été saisi d’inquiétude, de soupçons et de doutes, et de tout ce qui afflige un cœur épris. Croyez-vous qu’il suffise de nous présenter pour que l’étrangère nous suive, parce que nous sommes riches et qu’elle est pauvre, errante et fugitive ? La pauvreté non méritée donne même de la fierté. Cette jeune fille semble active et contente de peu : ainsi le monde lui appartient. Croyez-vous qu’une femme si belle et si bonne soit arrivée à la fleur de l’âge, sans avoir jamais charmé un jeune homme vertueux ? Croyez-vous qu’elle ait fermé jusqu’à présent son cœur à l’amour ? Ne courez pas si vite auprès d’elle ; nous pourrions, à notre honte, ramener sans bruit nos chevaux au logis. Quelque jeune homme, je le crains, possède son cœur ; cette main laborieuse s’est donnée ; elle a déjà promis fidélité à l’heureux fiancé. Ah ! je me verrai confondu devant elle Avec ma proposition. »

Le pasteur ouvrait déjà la bouche pour le rassurer, quand le pharmacien lui coupa la parole avec son babil ordinaire.

« Certes, nous n’aurions pas été autrefois si embarrassés : chaque affaire était réglée à sa façon. Les parents avaient-ils choisi une épouse pour leur fils, un ami de la maison était d’abord appelé en confidence ; on l’envoyait, comme négociateur, aux parents de la belle ; un dimanche, après dîner, il venait, en grande toilette, rendre visite à l’honorable bourgeois, échangeant d !abord aven lui quelques parotes amicales, et sachant, avec adresse, mener et diriger la conversation. Enfin, après un long détour, on parlait de la fille avec éloge, et, avec éloge, de l’homme et de la famille par qui l’on était envoyé. Ces habiles gens devinaient le dessein du messager ; l’habile messager devinait bientôt leur pensée, et pouvait s’expliquer plus amplement. Si l’on refusait la proposition, une