Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/46

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corbeille n’était pas un affront1, mais, si le succès était heureux, le négociateur avait toujours dans la maison la première place, à chaque fête de famille ; car les époux se souvenaient toute leur vie que sa main habile avait lié le premier nœud. Mais tout cela, avec d’autres bonnes coutumes, est maintenant passé de mode, et chacun fait lui-même la demande pour soi. Eh bien, que chacun prenne aussi de ses propres mains la corbeille qui peut lui tomber en partage, et qu’il reste confus devant la belle !

— Arrive ce qui pourra ! repartit le jeune homme, qui avait à peine écouté toutes ces paroles, et qui avait déjà pris en son cœur sa résolution. J’irai moi-même et je veux apprendre moi-même mon sort de la bouche de la jeune fille, en qui j’ai la plus grande confiance qu’un homme ait jamais eue en une femme. Ce qu’elle dira sera sage, sera bon, je le sais. Si même je dois la voir pour la dernière fois, je veux du moins rencontrer encore le regard sincère de cet œil noir ; si je ne dois jamais la presser sur mon cœur, je veux voir encore une fois le sein et les épaules que je brûle d’entourer de mes bras ; je veux voir encore la bouche dont un baiser et un oui me rendraient heureux, et un non, malheureux pour la vie. Mais laissez-moi seul ; ne m’attendez pas. Retournez auprès de mon père et de ma mère, afin qu’ils apprennent que leur fils ne s’est pas trompé et que la jeune fille est vertueuse. Et laissez-moi seul. Je regagnerai la maison par le plus court, en prenant le sentier de la colline, qui passe auprès du poirier, et descend notre vigne. Oh ! si j’avais bientôt la joie de conduire chez nous ma bien-ajmée ! Mais peut-être je le suivrai seul ce sentier, et ne le foulerai plus jamais le cœur joyeux. »

En parlant ainsi, il remit les rênes au pasteur, qui les prit avec adresse, tenant en bride les chevaux écumants, monta lestement dans la voiture et prit la place du cocher.

Cependant tu hésitais encore, prudent voisin, et tu dis :

« Mon ami, je vous confie volontiers mon âme, mon esprit et mon cœur ; mais le corps et les os ne sont pas des mieux gardés, quand les mains cléricales usurpent les rênes temporelles. »


1. Expression proverbiale. Recevoir une corbeille, c’est essuyer un refus dans une demande en mariage.