Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au-devant de lui. Il l’observa attentivement : ce n’était pas une apparence ; c’était elle-même. Ses mains portaient deux cruches à anse, l’une plus grande et l’autre plus petite : elle marchait diligemment vers la fontaine. Il s’avança joyeux à sa rencontre ; sa vue lui donna force et courage ; il parla en ces termes à sa bien-aimée fort surprise :

« Je te retrouve donc, vertueuse jeune fille, sitôt occupée à porter encore du secours aux autres et à faire ton plaisir de soulager tes frères ? Dis, pourquoi viens-tu seule à cette source, qui est pourtant éloignée, tandis que les autres se contentent de l’eau du village ? Celle-ci a sans doute une vertu particulière et un goût agréable. Tu la portes, je pense, à cette malade, que tu as sauvée par tes secours fidèles ? »

La bonne jeune fille salua d’abord le jeune homme d’un air gracieux, et lui dit :

« Ma course à la fontaine est déjà récompensée, puisque je retrouve l’homme charitable qui nous a dispensé tant de choses. La vue du donateur est agréable comme les dons. Eh bien, venez et voyez vous-même qui a profité de votre bienfaisance ; recevez les paisibles remercîments de tous ces malheureux soulagés. Mais, afin de vous apprendre d’abord pourquoi je suis venue puiser ici, où la source coule pure et sans cesse, je vous dirai que ces hommes imprévoyants ont troublé toute l’eau du village, en faisant d’abord piétiner leurs chevaux et leurs bœufs à travers la source qui abreuve les habitants ; en lavant leur linge, ils ont aussi sali toutes les auges du village et souillé toutes les fontaines : car chacun ne pense qu’à se pourvoir soimême promptement du nécessaire, et ne songe point à ceux qui viennent après lui. »

En parlant ainsi, elle était arrivée, avec le jeune homme, au bas des larges degrés, et ils s’assirent tous deux sur le petit mur de la source. Elle se pencha sur l’eau pour puiser, et il prit l’autre cruche et se pencha de même ; et ils virent leurs images se balancer, réfléchies dans l’azur du ciel, et se faire signe et se saluer amicalement dans le miroir.

« Laisse-moi boire, » dit là-dessus le jeune homme joyeux.

Elle lui présenta la cruche. Puis ils se reposèrent tous deux,