Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/50

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desse. Votre proposition a été brève ; ma réponse sera brève aussi. Oui, j’irai avec vous, et j’obéirai au sort qui m’appelle. Mon devoir est rempli : j’ai ramené l’accouchée auprès des siens ; ils sont tous dans la joie de sa délivrance ; la plupart sont déjà réunis ; les autres se trouveront. Ils sont tous persuadés qu’ils rentreront bientôt dans leur patrie : l’exilé a toujours coutume de se flatter ainsi ; mais je ne m’abuse pas d’une espérance frivole en ces tristes jours, qui nous en promettent d’autres encore. Car les liens du monde sont rompus : qu’est-ce qui pourra les resserrer, sinon les derniers malheurs qui nous menacent ? Si je puis gagner ma vie comme servante dans la maison d’un homme respectable, sous les yeux d’une bonne maîtresse, je le ferai volontiers : une jeune fille errante est toujours d’une réputation douteuse. Oui, je vous suivrai aussitôt que j’aurai reporté les cruches à mes amis, et reçu la bénédiction de ces bonnes gens. »

Hermann entendit avec joie la résolution de la jeune fille, et se demanda s’il ne devait pas lui avouer maintenant la vérité ; mais il lui parut que le mieux était de la laisser dans l’erreur, delà conduire dans sa maison, et, là seulement, de rechercher son amour. Hélas ! et il voyait l’anneau d’or au doigt de la jeune lîlle…. Il ne voulut donc pas l’interrompre, et il écouta ses paroles d’une oreille attentive.

« Retournons, poursuivit-elle ; on blâme toujours les jeunes filles qui s’arrêtent longtemps à la fontaine : et pourtant il est si agréable de jaser près de la source ruisselante ! »

Ils se levèrent donc et regardèrent tous deux encore une fois dans la fontaine, et un doux regret les saisit. Là-dessus elle prit, sans rien dire, les deux cruches par l’anse ; elle monta les degrés et Hermann suivit sa bien-aimée. Il lui demanda une des cruches, afin de partager le fardeau.

« Laissez, dit-elle, la charge égale est plus facile à porter. Et le maître qui plus tard me commandera ne doit pas me servir. Ne me regardez pas si sérieusement, comme si mon sort était à plaindre. Que la femme apprenne de bonne heure à servir selon sa destinée : ce n’est qu’en servant qu’elle arrive enlin à commander et à posséder l’autorité méritée qui lui appartient dans la maison. De bonne heure elle sert son frère, elle