Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/51

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sert ses parents, et, pendant toute sa vie, elle ne cesse pas d’aller et de venir, de porter, de préparer, d’agir pour les autres. Heureuse, si elle s’accoutume de la sorte à ne trouver aucun chemin trop pénible, et si les heures de la nuit sont pour elle comme les heures du jour ; que jamais le travail ne lui semble trop chétif, ni l’aiguille trop fine ; qu’elle s’oublie elle-même entièrement, et se plaise à ne vivre quevpour les autres ! Car, en vérité, comme mère, elle a besoin de toutes les vertus, lorsque l’enfant l’éveille, souffrante, et demande la nourriture ù la faible femme, et que le souci s’ajoute aux douleurs. Vingt hommes ensemble ne supporteraient pas cette fatigue, et ils ne le doivent pas, mais ils doivent la voir avec reconnaissance. »

En parlant ainsi, elle était arrivée, à travers les jardins, avec son compagnon silencieux, jusqu’à l’aire de la grange où reposait l’accouchée, qu’elle avait laissée joyeuse au milieu de ses filles, ces jeunes compagnes sauvées, touchantes images del’innocence. Ils entrèrent tous deux, et, de l’autre côté, survint en même temps le juge, tenant un enfant à chaque main. Leur mère, désolée, ne savait pas jusqu’alors ce qu’ils étaient devenus : le vieillard les avait retrouvés dans le tumulte. Ils vinrent, avec des sauts de joie, saluer leur bonne mère, et se réjouir, à la vue de leur frère, leur nouveau camarade. Puis ils s’élancèrent vers Dorothée, et la saluèrent avec amitié, demandant du pain et des fruits, mais, avant tout, à boire. Elle offrit de l’eau à la ronde. Tous furent désaltérés et vantèrent cette eau excellente. Elle était acidulée, rafraîchissante et salutaire.

Alors la jeune fille, les regardant d’un œil sérieux, dit ces paroles :

« Mes amis, c’est, je pense, la dernière fois que je présente la cruche à vos lèvres, pour les désaltérer ; à l’avenir, lorsque, durant la chaleur du jour, vous boirez l’eau salutaire, quand vous trouverez sous l’ombrage le repos et une source pure, pensez à moi et aux services affectueux que je vous ai rendus en qualité d’amie plutôt que de parente. Le bien que vous m’avez fait, je m’en souviendrai toute ma vie ; je vous quitte à regret ; mais aujourd’hui chacun de nous est pour les autres une charge plutôt qu’un secours, et, si le retour nous est refusé,