Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

beaucoup d’impatience, un dimanche, en attendant la voiture désirée, qui devait nous mener à la fontaine des Tilleuls. Cependant elle ne venait pas : je courais comme une belette, à droite, à gauche ; je montais et descendais l’escalier ; j’allais de la fenêtre à la porte ; les mains me démangeaient ; je grattais la table, j’allais et venais, frappant du pied, et j’étais près de pleurer. Mon père voyait tout sans s’émouvoir. Enfin, ma conduite devenant par trop folle, il me prit tranquillement par le bras, me conduisit à la fenêtre, et me dit ces graves paroles : « Vois-tu la boutique du menuisier vis-à-vis, fermée pour au« jourd’hui ? Demain il l’ouvrira ; et le rabot et la scie se met* Iront en mouvement, et le travail ira sans cesse, du matin a jusqu’au soir ; mais songe bien à ceci : le jour luira une fois, « où lo maître s’occupera,’ avec tous ses ouvriers, à préparer « ton cercueil, à l’achever habilement et promptement ; et ils « s’empresseront d’apporter ici la maison de planches, qui re« cueille eniin l’homme patient comme l’impatient, et qui est « destinée à porter bientôt un toit pesant. » Aussitôt je vis en esprit tout cela réalisé ; je vis les planches assemblées et la couleur noire toute prête ; je restai dès lors assis patiemment, et j’attendis avec tranquillité la voiture. Maintenant, quand d’autres personnes courent et s’agitent dans une attente incertaine, cela me fait penser au cercueil. »

Le pasteur dit en souriant :

« L’image saisissante de la mort ne se présente pas au sage comme un objet d’effroi, et à l’homme pieux comme le dernier terme. Elle ramène le premier au sein de la vie et le porte à l’action ; chez le second, elle fortifie, au milieu de l’adversité, l’espérance du bonheur à venir. Pour tous deux, la mort devient la vie. Le père eut tort de montrer ù l’enfant impressible la mort dans la mort. Que l’on montre au jeune homme la dignité de la vieillesse dans sa noble maturité, et au vieillard la jeunesse, afin que tous deux contemplent avec joie le cercle éternel, et qu’ainsi la vie s’accomplisse dans la vie. »

Cependant la porte s’ouvrit ; le beau couple se montra, et les amis, les tendres parents, admirèrent la tournure de la fiancée, comparable à celle du fiancé ! La porte sembla trop basse pour la haute taillûjdu couple qui franchissait le seuil en ce moment.