Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/60

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pareille ; il m’a représenté son père comme un honnête bourgeois, et je sais que je suis devant un homme éclairé, qui se conduit sagement avec chacun, et selon la qualité des personnes. Mais il semble que vous ne sentez pas assez de pitié pour la pauvre lille qui franchit maintenant votre seuil et qui est prête à vous servir. Autrement, vous ne me feriez pas voir, avec une raillerie amère, combien ma condition est éloignée de votre fils et de vous. Il est vrai que j’arrive, pauvre, avec un petit bagage, dans la maison richement pourvue qui donne de la sécurité à ses heureux habitants : mais je me connais bien et je comprends notre position. Est-il généreux de m’adresser d’abord de pareilles moqueries, qui, dès le seuil, me chassent, peu s’en faut, du logis ? »

Hermann s’agitait avec angoisse, et faisait signe au pasteur, son ami, de s’interposer et de dissiper l’erreur sur-le-champ. Le sage se hâta d’approcher, et il observa le chagrin secret de l’exilée, sa douleur contenue et ses yeux en pleurs. Alors il résolut dans son esprit de ne pas dissiper d’abord le trouble, mais au contraire de sonder le cœur de l’étrangère émue, et il lui adressa ces paroles pour l’éprouver :

«Assurément, ô jeune fille, lorsque tu as pris la résolution trop précipitée de servir chez des étrangers, tu n’as pas bien considéré ce que c’est d’entrer dans la maison d’un maître ; car l’engagement fixe tout le sort de l’année, et un seul oui oblige à souffrir bien des choses. Ce qu’il y a de plus pénible dans le service, ce ne sont pas les courses fatigantes, ce ne sont pas les sueurs amères d’un travail sans relâche ; car, en même temps que le serviteur, l’homme qui est libre et laborieux se donne de la peine : mais endurer les caprices du maître, s’il gronde injustement, ou s’il exige ceci et cela, en désaccord avec lui-même, la vivacité de la maîtresse, qui se fâche aisément, les façons grossières et insolentes des enfants, voilà ce qu’il est difficile de supporter, et de remplir cependant son devoir sans retard, vivement, et même de ne point hésiter avec murmure. Tu ne me semblés pas faite pour une pareille tâche, puisque la plaisanterie du père te blesse déjà si profondément, et pourtant il n’est rien de plus ordinaire que de plaisanter une jeune fille sur le goût qu’elle a pour un jeune homme. »