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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/61

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Ainsi dit-il ; l’exilée sentit ces paroles, qui portaient coup ; elle ne se posséda plus, ses sentiments se montrèrent avec force, son cœur se gonfla, et laissa échapper un soupir ; puis elle dit soudain, en versant des larmes brûlantes :

« Oh ! jamais l’homme sage, qui s’avise de nous conseiller dans la douleur, ne saura combien peu ses fcoides paroles sont capables de délivrer le cœur des souffrances qu’une volonté suprême nous impose. Vous êtes heureux et gais : comment une plaisanterie vous blesserait-elle ? Mais le malade sent avec douleur le plus léger attouchement. Non, quand même je réussirais à feindre, cela ne me servirait de rien. Que l’on sache d’abord ce qui ne ferait plus tard qu’augmenter ma douleur profonde, et qui me plongerait peut-être dans un chagrin dont je serais consumée en secret. Laissez-moi repartir. Je ne puis rester dans la maison. Je veux m’en aller, et je vais rejoindre mes pauvres amis, que j’ai laissés dans le malheur, en choisissant pour moi la meilleure part. C’est ma ferme résolution : aussi vous puis-je avouer maintenant ce que j’aurais sans cela caché peut-être des années dans mon âme. Oui, la raillerie du père m’a blessée profondément, non que je sois fière et susceptible, ce qui ne convient pas à une servante, mais parce qu’une inclination véritable naissait dans mon cœur pour le jeune homme qui m’est apparu aujourd’hui comme un sauveur. Car, dès le moment qu’il m’eut quitté sur la route, il était toujours demeuré dans ma pensée ; je songeais à l’heureuse jeune fille que peut-être il portait déjà dans le cœur, comme sa fiancée ; et, quand je l’ai retrouvé à la fontaine, j’ai senti, à sa vue, autant de joie que si un habitant du ciel m’était apparu ; et je l’ai suivi bien volontiers, quand il m’eut engagée comme servante. Cependant, je l’avoue, mon cœur se flattait sur la route, en venant ici, que peut-être je parviendrais à le mériter, si je devenais un jour l’indispensable soutien de la maison. Mais, hélas ! c’est seulement à cette heure que je vois les dangers auxquels je m’exposais, en venant habiter si près de celui que j’aimais en secret ; c’est à présent que je m’aperçois combien une pauvre fille est éloignée du jeune homme riche, fût-elle d’ailleurs la plus vertueuse. Je vous ai dit tout cela, pour ne pas vous laisser méconnaître mon cœur, qu’un hasard a blessé, auquel je dois d’être