Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/62

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revenue à moi-même. En effet, je devais m’attendre, en cachant mes vœux secrets, à le voir amener bientôt chez lui sa fiancée, et alors comment aurais-je supporté ma secrète douleur ? Heureusement, je suis avertie ; heureusement, le secret s’échappe de mon sein, tandis que le mal est guérissable encore. N’en parlons plus. Rien ne doit me retenir plus longtemps dans cette maison, où je ne puis demeurer sans douleur et sans confusion, après avoir librement avoué mon penchant et cette folle espérance. La nuit, qui se couvre au loin de nuages pesants, le tonnerre, que j’entends rouler, ne m’arrêteront pas ; ni ce torrent de pluie qui se précipite, ni l’orage qui gronde. Tout cela, je l’ai supporté dans notre fuite déplorable, et poursuivie de près par les ennemis ; et maintenant je m’en vais, dès longtemps accoutumée, dans nos jours d’orage, à me séparer de tout. Adieu : je ne resterai pas plus longtemps. C’en est fait. »

A ces mots, elle se dirigeait vivement vers la porte, tenant toujours sous le bras le petit bagage qu’elle avait apporté ; mais la mère court à la jeune fille, l’entoure de ses deux bras et s’écrie, saisie d’admiration et d’étonnemcnt :

« Dis-moi, que signifie cela ? et pourquoi ces larmes inutiles ? Non, tu ne me quitteras point, tu es la fiancée de mon lils. *

De son côté, le père, mécontent, observait l’étrangère en pleurs, et prononça ces paroles chagrines :

« Voilà donc où devait aboutir mon extrême indulgence, qu’il m’arrive à la fin du jour la chose la plus désagréable ! Car il n’est rien que je puisse moins souffrir que les pleurs des femmes, les cris passionnés, qui troublent d’abord par leur violence ce qu’il serait facile d’arranger avec un peu de raison. Je suis las d’assister plus longtemps à cette bizarre entreprise. Achevez-la vous-même. Je vais me coucher. »

A ces mots, il se tourna brusquement, et se hâtait de gagner la chambre dans laquelle était dressé le lit conjugal, où il avait coutume de reposer ; mais son fils le retint, et lui dit ces paroles suppliantes :

« Mon père, ne vous pressez pas, et ne soyez pas fâché contre la jeune fille. C’est moi seul qui suis coupable de tout ce désordre, que notre ami vient d’augmenter encore, contre mon