Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/65

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« la création voulait rentrer dans le chaos et la nuit, et prendre « une forme nouvelle. Garde-moi ton cœur, et, si nous nous < retrouvons un jour sur les ruines de l’univers, nous serons « des créatures renouvelées, transformées, et libres, et indépen« dantes du sort. Qui pourrait en effet enchaîner celui qui aura « traversé de pareils jours ? Mais, s’il n’en doit pas être ainsi, si « nous ne pouvons un jour, heureusement échappés à ces périls, « nous embrasser avec joie, oh ! que mon image plane sans cesse « devant ta pensée, afin qu’avec le même courage, tu sois pré« parée au bonheur et au malheur. Si tu es attirée dans une ’« nouvelle demeure et de nouveaux liens, jouis avec gratitude » des biens que le sort te dispensera ; aime sincèrement ceux * qui t’aimeront, et montre-toi reconnaissante envers l’homme « de bien. Et, même alors, ne pose que légèrement ton pied « mobile, car elle le guette, la double douleur de la nouvelle s perte. Que le jour te soit sacré : cependant n’estime pas plus « la vie qu’un autre bien, et tous les biens sont trompeurs. » Telles furent ses paroles, et jamais ce noble ami ne reparut à mes yeux. Cependant je perdis tout ce que j’avais, et mille fois j’ai songé à cet avertissement. Aujourd’hui encore, je me rappelle ces paroles, quand l’amour me prépare ici un nouveau bonheur, et m’ouvre le champ des plus belles espérances. Oh ! pardonne, mon excellent ami, si, même en m’appuyant sur ton bras, je tremble encore. Le navigateur, enfin débarqué, croit sentir aussi le plus ferme rivage chanceler sous ses pas. »

Ainsi dit-elle, puis elle plaça les deux anneaux à côté- l’un de l’autre, et son fiancé lui dit avec une mâle et généreuse émotion : v .

« Que notre union, Dorothée, soit plus ferme encore, au milieu de l’ébranlement général ! Tenons bon et persistons ; sachons nous maintenir et maintenir la possession de nos beaux domaines. L’homme qui, dans une époque agitée, s’agite aussi lui-même, aggrave le mal et le répand de plus en plus ; mais celui qui persiste dans sa pensée, forme le monde sur lui. Il ne sied pas aux Allemands de propager ce mouvement terrible, ni de flotter en sens divers. Ceci est nôtre ! Sachons le dire et le maintenir ! Ils seront toujours honorés, les peuples ré- solus qui auront combattu pour Dieu et les lois, pour leurs pa-