Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/73

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qui se sépare à regret des amants dans les heures matinales. Avec une lassitude voluptueuse, comme si la nuit ne lui avait pas donné le repos, elle se penchait sur les bras de son trône.

Et une douce lumière éclaira les salles ; un souffle de l’Éther s’élança des espaces lointains, annonçant l’approche du fils de Saturne. Il arriva aussitôt de son palais sublime à l’assemblée, appuyé sur la statue, ouvrage de Vulcain. Il s’avança majestueusement jusqu’à l’admirable trône d’or ; il s’assit, et les autres dieux, debout, s’inclinèrent devant lui et s’assirent chacun à sa place.

Soudain les agiles divinités de la jeunesse, Hébé et les Grâces, échansons empressés, servirent à la ronde l’ambroisie écumante, versant à pleine coupe, sans déborder, le breuvage chéri des immortels. Ganymède ne s’avança que vers le fils de Saturne, avec la douce gravité de la première jeunesse dans son œil enfantin, et le dieu fut charmé. C’est ainsi que tous les immortels goûtaient en silence la suprême félicité.

Mais la divine Thétis parut, la tristesse dans les yeux, Thétis, majestueuse et grande, la fille la plus chérie de Nérée ; et, se tournant aussitôt vers Junon, elle dit ces paroles :

« Déesse, accueille-moi sans détourner la tête ; apprends à être juste. Je le jure par ceux qui habitent le Tartare profond et sont assis autour de Kronos, au delà des flots du Styx, vengeurs tardifs du parjure, je ne suis pas venue pour mettre obstacle à la destinée trop certaine de mon fils et pour éloigner de lui le jour funèbre : non, c’est mon invincible douleur qui me fait monter ici du sein de la mer pourprée, afin de chercher sur les sommets olympiens quelque soulagement à ma cruelle angoisse. Car mon fils ne m’appelle plus : debout sur le rivage, il m’oublie et ne songe avec regret qu’à son ami, qui est descendu avant lui dans la sombre demeure de Pluton, et qu’il lui tarde de suivre chez les ombres. Oui, je ne veux ni le voir ni lui parler. Quel soulagement trouverions-nous à gémir et à déplorer ensemble une fatalité inévitable ? »

Junon se retourna soudain, et, avec un regard terrible, elle adressa, pleine de courroux, à la déesse affligée ces outrageantes paroles :

« Trompeuse, impénétrable, pareille à la mer qui t’a enfan-