Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/74

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tée, je devrais me fier à toi, et même te recevoir d’un regard gracieux, toi qui m’as offensée mille fois, et jadis et récemment encore ; qui as poussé à la mort les plus illustres guerriers, pour flatter l’insensé, l’intolérable caprice de ton fils ? Crois-tu que je ne te connaisse pas et ne me souvienne pas de ce que tu avais entrepris, lorsque le fils de Saturne déjà descendait vers toi dans sa gloire, comme fiancé, me délaissant, moi, son épouse et sa sœur, et que la fille de Nérée, enivrée d’orgueil, espérait être la reine du ciel ? Mais il revint sur ses pas, le dieu, effrayé par la sage parole du Titan, qui lui annonçait que, de cet hyménée exécrable, lui naîtrait le fils le plus dangereux. Prométhée le savait bien ! En effet, de ton mariage avec un mortel, est né un monstre pareil à la Chimère et au dragon qui ravage le monde. Si un dieu l’avait engendré, qui garantirait aux dieux l’espace éthéré ? Comme l’un ravage la terre, l’autre aurait ravagé le ciel. Cependant je ne te vois jamais approcher que le fils de Saturne, prenant un air serein, ne te fasse un signe de tête et ne te caresse la joue, et que ce dieu terrible ne t’accorde tout pour m’offenser. Le désir non satisfait ne s’émousse jamais dans le cœur de l’homme. »

La fille du véridique Nérée lui répondit :

« Cruelle, que signifient ces paroles que tu m’adresses, comme des flèches de haine ? Tu n’épargnes pas la plus affreuse douleur, la douleur de la mère qui, dans sa détresse, va de tous côtés, pleurant la mort prochaine de son fils. Tu n’as pas éprouvé comme ce chagrin déchire le sein d’une femme mortelle, ainsi que d’une déesse immortelle ; car tu te vois entourée de fils glorieux, engendrés par Jupiter, éternellement jeunes et vigoureux, et tu mets ta joie dans ces augustes enfants. Cependant tu pleuras toi-même, tu te répandis en plaintes douloureuses, le jour où le fils de Saturne, irrité contre toi, lança le fidèle Vulcain dans l’île de Lemnos, et où l’enfant auguste resta gisant, blessé au pied comme un fils de la terre. Alors tes cris appelèrent les nymphes de l’île ombreuse, tu appelas Péon et tu soignas de tes mains la blessure. Aujourd’hui même, l’infirmité de ton fils boiteux t’afflige encore. S’il fait le tour de l’assemblée, empressé, officieux, pour servir aux immortels le précieux breuvage ; s’il porte en chancelant la coupe d’or, veillant