Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/75

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avec soin à ne pas répandre le nectar, et qu’un rire sans fin éclate chez les heureux habitants du ciel, toi seule tu te montres toujours sérieuse, et tu prends le parti de ton fils. Et je ne chercherais pas aujourd’hui, auprès de mes amis, l’adoucissement de ma douleur, quand la mort menace mon fils unique et glorieux ? Mon vieux père me l’a trop fidèlement prédit, Nérée, le véridique, le divin explorateur de l’avenir, le jour où vous autres dieux immortels, descendus dans les bois du Pélion, vous célébrâtes ensemble l’hyménée qui me fut imposé, et qui me livra aux embrassements d’un mortel. Dès lors le vieillard m’annonça cet illustre fils, supérieur à son père, car ainsi le voulait le destin ; mais il m’annonça en même temps la fin prématurée de ses tristes jours. Ainsi s’envolèrent pour moi les rapides années, entraînant, d’une marche irrésistible, mon fils vers la porte noire de Pluton. De quoi m’ont servi l’artifice et la ruse ? le feu qui purifie ? les vêtements de femme ? Un immense désir de gloire et les liens de la destinée entraînèrent le héros dans les combats. Ses tristes jours sont écoulés, ils touchent à leur terme. Elle m’est connue, la volonté du destin suprême : une gloire certaine est à jamais son partage, mais les armes des Parques le menacent, prochaines, inévitables ; le fils de Saturne lui-même ne le sauverait pas. »

Ainsi dit-elle, puis elle s’avança, et alla s’asseoir à côté de Latone, qui, plus que les autres déesses, porte dans le sein un cœur de mère, et, là, elle se repaissait librement de sa douleur.

Alors le fils de Saturne tourna, avec douceur et gravité, sa face divine vers la mère éplorée, et lut adressa ces paroles paternelles :

« Ma fille ; devais-tu faire entendre à mes oreilles les violentes paroles de l’injure, telles qu’un Titan les peut exhaler, dans sa colère, contre les dieux qui règnent sur l’Olympe ? Tu prives toi-même ton fils de la vie par ton désespoir insensé. À la vie demeure toujours unie l’espérance, flatteuse déesse, plus attrayante que bien d’autres, qui traversent, comme fidèles génies, avec les hommes mortels les jours inconstants. L’olympe ne lui est point fermé ; pour elle s’ouvre même la sombre demeure de Pluton, et l’inflexible destinée sourit, quand la belle l’assiège de ses caresses. L’impénétrable nuit ne rendit-elle pas à mon fils