Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/8

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fois, il est allé seul. Comme elle tourne légèrement l’angle de la rue ! »

Ainsi parlait à sa femme l’hôte du Lion d’or, assis commodément devant la porte de sa maison, sur la place ; et la bonne et sage ménagère lui répondit :

« Père, je n’aime pas à donner le vieux linge, parce qu’il sert à beaucoup d’usages, et, en cas de besoin, on n’en trouve pas pour de l’argent : mais aujourd’hui j’ai donné bien volontiers plusieurs des pièces les meilleures en couvertures et en chemises ; car j’ai entendu parler d’enfants et de vieillards qui étaient nus. Mais me pardonneras-tu ? Ton armoire aussi a été mise au pillage ; et même, ta robe de chambre à palmes, de la plus belle indienne, doublée de fine flanelle, je l’ai donnée : elle est usée et vieille, et tout à fait passée de mode. »

Là-dessus le bon hôte dit en souriant :

« Je la regrette pourtant, ma vieille robe de chambre : c’était une véritable indienne ; on n’en trouve plus de pareille. A la bonne heure !… Je ne la portais plus. On veut à présent que l’homme aille toujours en surtout et se montre en redingote, qu’il soit toujours botté ; le bonnet et les pantoufles sont bannis.

— Vois-tu, reprit la femme, déjà quelques-uns reviennent labas, qui étaient allés voir la troupe. Il faut donc qu’elle soit déjà passée. Voyez comme ils ont tous les souliers poudreux ! comme les visages sont enflammés ! Chacun tient son mouchoir et s’essuie. Je ne voudrais pas non plus, par cette chaleur, courir si loin à ce douloureux spectacle : en vérité, j’ai bien assez du récit. »

Ensuite le bon père dit avec expression :

« II est rare que l’on voie un temps pareil pour une pareille moisson, et nous rentrerons le blé sec comme’nous avons déjà rentré le foin. Le ciel est clair, on ne voit pas un nuage, et le vent souffle de l’est avec une agréable fraîcheur. Le temps est stable et les blés sont déjà mûrs de reste : demain nous commencerons à faucher la riche moisson. »

Comme il parlait ainsi, les groupes d’hommes et de femmes augmentaient sans cesse, et traversaient la place pour se rendre chez eux. Il revint aussi avec ses filles, de l’autre côté de la place, devant sa maison remise à neuf, le riche voisin, le pre-