Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/9

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mier marchand de l’endroit, brûlant le pavé dans sa voiture découverte (on l’avait fabriquée à Landau). Les rues s’animèrent ; car la petite ville était bien peuplée : on s’y adonnait à diverses manufactures et diverses industries.

Le couple fidèle était donc assis sous la porte cochère, s’amusant à faire mainte observation sur la foule des passants. Enfin la bonne ménagère se prit à dire :

« Regarde, voici le pasteur, et notre voisin le pharmacien l’accompagne. Ils vont nous rapporter tout ce qu’ils ont vu làbas, et ce qui ne fait pas plaisir à voir. »

Ils approchèrent tous deux amicalement et saluèrent les époux ; ils s’assirent sur les bancs de bois, sous la porte cochère, secouant la poussière de leurs pieds, et se faisant de leurs mouchoirs des éventails. Après des salutations réciproques, le pharmacien prit le premier la parole, et dit d’un ton presque fâché :

« Voilà les hommes, en vérité, et l’un est comme l’autre, et se plaît à regarder bouche béante, quand il arrive un malheur au prochain. Chacun s’empresse pour voir la flamme qui ravage et qui dévore, pour voir le pauvre coupable que l’on mène au supplice ; chacun va courir les champs, pour contempler la misère des honnêtes exilés, et nul ne réfléchit que bientôt peut-être, ou du moins dans l’avenir, le même sort peut l’atteindre aussi. Je trouve impardonnable cette légèreté, mais elle est dans l’homme. »

Là-dessus le noble et sage pasteur prit la parole. Il était l’ornement de la ville, jeune et touchant à l’âge mûr ; il connaissait la vie et il connaissait les besoins de ses auditeurs ; il sentait profondément la haute valeur des saintes Écritures, qui nous dévoilent la destinée des hommes et leurs sentiments, et il connaissait aussi les meilleurs livres profanes. 11 dit :

« Je n’aime pas à blâmer les instincts innocents que la nature, bonne mère, a pu donner aux hommes ; car ce que l’esprit et.la raison ne peuvent toujours accomplir, est souvent l’ouvrage d’un heureux penchant, qui nous mène avec une force irrésistible. Si la curiosité n’attirait pas les hommes avec des charmes puissants, dites-moi, connaîtraient-ils jamais la belle harmonie qui règne dans les choses du monde ? En effet, l’homme désire d’abord la nouveauté, puis il recherche l’utile avec une ardeur