Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/82

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par la main, elle le fit monter légèrement ; et ils cheminaient tous deux sur le bord élevé du tertre qui grandissait sans cesse.

Mais la déesse, ayant tourné vers la mer ses yeux étincelants, prononça, pour l’éprouver, ces paroles amicales :

« Quelles sont ces voiles nombreuses, qui, venant à la file, s’efforcent d’avancer vers le rivage, déployées sur une vaste ligne ? Elles n’approcheront pas sitôt, je le crois, de la terre sacrée, car le vent d’orient souffle contre elles du rivage.

— Si mes yeux ne m’abusent pas, repartit le grand Achille, si je ne suis pas trompé par la forme de ces vaisseaux peints, ce sont les audacieux Phéniciens, désireux de richesses diverses. Ils amènent des îles la nourriture bienvenue à l’armée des Achéens, qui dès longtemps manquaient de subsistances ; ils amènent du vin, du blé et des troupeaux de bétail mugissant. Ils doivent aborder, je crois, et restaurer les troupes, avant que la bataille prochaine les appelle, rafraîchies et fortifiées.

— Certes, reprit la déesse aux yeux bleus, il ne s’est pas trompé, l’homme qui a mis tous les siens en mouvement pour construire cette éminence, afin d’observer à l’avenir dans la haute mer les navires qui s’approchent, ou d’allumer un feu, signal nocturne pour les pilotes. Car ici se découvre aux regards une immense étendue, qui n’est jamais déserte : le vaisseau vient au-devant des vaisseaux ou vogue à leur suite. En vérité, un homme qui viendra du fleuve Océan, et qui amènera dans son profond navire l’or pur du Phase lointain, qu’il désire échanger, afin de parcourir la mer, verrait toujours ce monument, quelle que fût la direction de sa course. S’il naviguait, à travers les ondes salées du large Hellespont, vers le berceau de Jupiter et vers le fleuve Égyptus, désireux de voir la Syrte tritonienne, peut-être aussi de saluer, au bout de la terre, les chevaux du soleil au terme de leur course, puis de revenir à la maison, richement chargé de marchandises recueillies sur maints rivages : cet homme le verrait aussi bien à son départ qu’à son retour. Jusque dans ces lieux reculés où la nuit ne quitte pas la terre sacrée, attristée de l’ombre éternelle, demeure aussi, je pense, maint homme résolu, ami des aventu-