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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/85

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est décerné aux heureux vainqueurs, ton nom coulera toujours le premier des lèvres du chanteur, après qu’il aura d’abord célébré la louange du dieu. Tu élèveras le cœur de chacun, comme si tu étais présent, et la gloire de tous les braves s’évanouira pour se concentrer sur toi seul. »

Achille, avec un regard sérieux, répondit vivement :

« Ton langage est loyal et bon, et d’un jeune homme sage. Oui, l’homme est charmé de voir la foule se presser en son honneur, pendant sa vie, avide de le contempler ; et il aime aussi à songer au divin poète, qui tressera avec son nom la couronne du chant ; mais il trouve plus de charme encore à jouir des sentiments fraternels de nobles guerriers, soit dans la vie, soit aussi dans la mort. Je n’ai jamais goûté sur la terre de plus délicieux plaisirs que le soir, après la bataille et la violente fatigue, lorsque Ajax, fils de Télamon, me serrait la main, en se réjouissant de la victoire et des ennemis terrassés, Certes, il faudrait que le partage de l’homme fût de passer dans la joie cette courte vie, assis du matin au soir dans la salle du festin, savourant une abondante nourriture, avec le vin salutaire, qui triomphe des soucis, tandis que le chanteur célébrerait le passé et l’avenir. Mais un sort si doux ne lui fut pas dispensé, le jour ou Jupiter se courrouça contre le sage Prométhée, et où Vulcain fit pour le roi l’image de Pandore : alors fut résolue l’inévitable souffrance pour tous les hommes mortels qui jamais habiteront la terre, auxquels Phébus ne luit que pour de trompeuses espérances, les abusant même par son éclat céleste et ses rayons bienfaisants. Car la source de querelles infinies, ruine de la plus paisible maison, coule par une pente naturelle dans le sein de l’homme : c’est l’envie, l’ambition, le désir de posséder sans partage les terres au loin dispersées et les troupeaux et la femme, qui, lui paraissant divine, apporte dans la maison de funestes malheurs. Et quand se repose-t-il de ses fatigues et de ses violents efforts, l’homme qui traverse les mers dans le profond navire qui, suivant les pas du bœuf robuste, trace sur la terre l’industrieux sillon ? Partout les dangers le menacent, et la Fortune, la plus vieille des Parques, agite le sol de la terre aussi bien que la mer. Écoute donc cette parole : que le plus heureux se tienne toujours équipé pour le combat, et que chacun