Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/96

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souffrir son mal en silence, car, nous venons de l’apprendre, l’andouille était volée. Comme il vient, s’en va le bien. Et qui peut faire- un crime à mon oncle d’avoir enlevé au voleur le bien volé ? Les gens nobles et de haute naissance doivent se montrer hostiles et redoutables aux voleurs. Et, s’il l’avait alors pendu, le cas serait excusable. Cependant il l’a laissé libre, par respect pour le roi, car il n’appartient qu’au roi d’infliger la peine de mort. Mais mon oncle doit s’attendre à peu de reconnaissance, si juste qu’il soit et opposé aux forfaits. Depuis que l’on a proclamé la paix du roi, nul ne s’observe comme lui. Il a changé de vie ; il ne mange qu’une fois le jour, il vit comme un ermite, il se mortifie, porte une haire sur la chair nue et s’abstient tout à fait, depuis longtemps, de gibier et de bêtes privées, comme hier encore me le disait une personne qui lui a fait visite. Il a quitté son château de Maupertuis, et se construit un ermitage pour demeure. Comme il est devenu maigre et pâle de faim, de soif et d’autres sévères pénitences, qu’il endure avec contrition, vous pourrez vous en convaincre vous-mêmes. En efl’et, que chacun l’accuse ici, quel tort cela peut-il lui faire ? Qu’il vienne seulement, il fera valoir son droit et confondra ses ennemis. »

Comme Grimbert achevait de parler, on fut bien surpris de voir paraître Henning, le.coq, avec sa troupe. Sur un triste brancard était portée une poule sans cou et sans tête. C’était Grattepied1, la meilleure des poules pondeuses. Hélas ! son sang coulait, et Reineke l’avait répandu ! On venait en informer le roi. Quand le vaillant Henning parut devant lui, dans l’attitude d’une affliction profonde, deux coqs, en deuil également, se présentèrent avec lui. L’un s’appelait Kreyant : il était impossible d’en trouver un meilleur de Hollande jusqu’en France. L’autre, qui pouvait soutenir avec lui la comparaison, s’appelait Kantart*, vigoureux, hardi compagnon. Chacun d’eux portait un flambeau allumé ; ils étaient les frères de la dame égorgée. Leurs cris douloureux demandaient justice du meurtrier. Deux jeunes


1, Kratzfuss. Le mot pouvant se rendre assez bien en français, on a préféré, pour cette fois, donner la traduction.

2. Kreyant, qui crie ; Kantabt, qui chante. Dans le Roman du Renard figure Chantecler.