Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/97

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coqs portaient le brancard, et l’on pouvait entendre de loin leurs lamentations. Henning prit la parole :

« Très-honoré seigneur et roi, nous portons plainte pour un dommage irréparable. Considérez avec compassion le tort qui nous est fait, à mes enfants et à moi. Vous voyez ici l’ouvrage de Reineke. Lorsque l’hiver eut pris fin, que le feuillage et les fleurs nous appelèrent au plaisir, je me félicitais de voir ma famille passer avec moi les beaux jours dans la joie. Je comptais dix jeunes fils et quatorze filles, tous heureux de vivre. Ma femme, l’excellente poule, les avait élevés tous en un seul été. Tous étaient vigoureux et bien contents. Ils trouvaient leur nourriture journalière dans une place très-sûre. La cour appartenait à de riches moines ; le mur nous défendait, et six grands chiens, vaillants commensaux du logis, chérissaient mes enfants et veillaient sur leur vie ; mais Reineke le voleur était fâché de nous voir couler en paix d’heureux jours et échapper à ses ruses. Sans cesse il- rôdait, la nuit, autour de la muraille, et guettait par la porte. Les chiens le remarquèrent. Alors il lui fallut courir ! Enfin ils le saisirent une fois bel et bien et lui frottèrent la peau ; mais il s’échappa, et nous laissa quelque trêve. Écoutez maintenant : peu de temps après, il vint, habillé en ermite, et m’apporta une lettre scellée. Je reconnus votre sceau sur la lettre. Elle portait que vous aviez proclamé une solide paix chez les bêtes et les oiseaux ; et il m’annonça qu’il était devenu ermite ; qu’il avait fait des vœux sévères, pour expier les péchés dont il s’avouait coupable ; que personne n’avait donc plus rien à craindre de lui ; qu’il avait fait un vœu solennel de ne plus manger de viande jamais. Il me fit remarquer son froc, me montra son scapulaire. En outre, il me produisit un certificat, que le prieur lui avait donné, et, pour me rassurer davantage, sous le froc, une chemise de crin. Puis il s’en alla en disant : « Que Dieu, notre Seigneur, vous tienne en « sa garde ! J’ai encore beaucoup à faire aujourd’hui. J’ai à dire « sexte et none et vêpres encore. » 11 lisait en marchant et. méditait beaucoup de mal ; il songeait à notre perte. Moi, d’un cœur joyeux, je rapportai bien vite à mes enfants l’heureuse nouvelle de votre lettre. Tous se réjouirent. Reineke s’étant fait ermite, nous n’avions plus aucun souci, aucune crainte : je