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DE WILHELM MEISTER. 243

cette pièce ; je crois au contraire que l’on n’en conçut jamais de plus grand. Que dis-je ? Ce n’est pas une conception, c’est la réalité même.

Comment expliquez-vous cela ? dit Serlo.

Je ne veux rien expliquer, je veux seulement vous exposer ma pensée. »

Aurélie se souleva sur ses coussins, appuya sa tête sur sa main, et fixa ses regards sur notre ami, qui, avec la plus ferme conviction que la raison était de son côté, poursuivit en ces termes

Nous sommes charmés, nous sommes flattés de voir un héros qui agit par lui-même, qui aime et qui hait, quand son cœur l’ordonne, qui entreprend et exécute, écarte tous les obstacles et parvient à un grand but. Les historiens et les poëtes voudraient bien nous persuader qu’une si glorieuse destinée peut être celle de l’homme. Ici nous recevons une autre leçon le héros n’a pas de plan, mais celui de la pièce est parfait. On ne voit pas ici un scélérat puni, par suite d’une idée de vengeance constamment et obstinément poursuivie ; non, un horrible forfait est commis ; il se développe dans ses conséquences ; il entraîne des innocents ; le criminel semble éviter l’abîme qui lui est destiné, et il y tombe, à l’instant même où il pense échapper et poursuivre heureusement sa carrière. Car c’est le propre des actions criminelles d’étendre aussi le mal sur les têtes innocentes, comme celui des actions vertueuses, de répandre même sur les indignes beaucoup de biens, quoique souvent les auteurs des unes et des autres ne soient pas punis ou récompensés. Ici, dans notre pièce, quel merveilleux spectacle Le purgaMire envoie son spectre et demande vengeance, mais en vain toutes les circonstances conspirent et poussent à la vengeance c’est en vain ; les puissances terrestres et souterraines ne peuvent accomplir l’œuvre qui n’est réservée qu’au destin. L’heure de la justice arrive le méchant tombe avec le bon ; une race est retranchée, une autre s’élève.

Après un moment de silence, pendant lequel leurs regards se consultèrent, Serlo prit la parole.

« Vous ne faites pas à la Providence un fort beau compliment, en même temps que vous glorifiez le poëte ; et, d’un autre côté,